Après trois ans de préparation, auditions, débats, le texte de révision de la loi de bioéthique est enfin voté. Après une première lecture à l’Assemblée nationale (cf. Lettre mensuelle de Février 2011) et au Sénat (cf. Lettre mensuelle d’Avril 2011), il a subi de nouvelles modifications en deuxième lecture dans les deux chambres, avant d’être examiné par une commission mixte paritaire (CMP : 7 députés et 7 sénateurs) qui lui a donné son caractère définitif. La loi a été adoptée à l’Assemblée nationale le 21 juin 2011 et au Sénat le 23 juin.
Qualifiée de « frileux » ou de « conservateur » par certains, le texte contient pourtant des transgressions nouvelles par rapport à la loi de 2004 : si l’interdiction de la recherche sur l’embryon humain est finalement conservée, les conditions de dérogation élargies mènent dans les faits à une instrumentalisation accrue de l’être humain; le renforcement du dispositif de diagnostic prénatal (DPN) consacre un eugénisme de droit ; enfin les mesures banalisant encore davantage le don de gamètes contribuent à creuser un peu plus le fossé entre sexualité et procréation.
Cela aurait pourtant été pire sans le combat courageux d’un petit groupe de parlementaires qui a su provoquer, pendant le long processus de la navette parlementaire, quelques retournements heureux. Voici un bilan des principales dispositions de la loi qui devrait régir, durant les sept prochaines années, les pratiques biomédicales.
Don d’organes
Les parlementaires ont adopté des mesures pour promouvoir le don d’organes et la greffe. Ils ont ainsi ouvert le don d’organes entre vivants à « toute personne pouvant apporter la preuve d’un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans avec le receveur« . La loi de 2004 limitait le don entre vivants au cadre strictement familial.
La possibilité d’un don croisé d’organes en cas d’incompatibilité entre le donneur vivant et le receveur a également été adoptée.
Une information sur la législation relative au don d’organes à fins de greffe et une sensibilisation au don de sang seront également dispensées dans les lycées et les établissements d’enseignement supérieur.
Don de sang de cordon et placenta
Le sang de cordon et le placenta, jusqu’alors considérés comme « déchets opératoires » auront désormais le statut de « ressources thérapeutiques ». L’article 7 du projet de loi précise que le don de cellules du sang de cordon et du sang placentaire ne peut être qu’un « don anonyme et gratuit » pour un usage allogénique. Néanmoins, « par dérogation, le don peut être dédié à l’enfant né ou aux frères et sœurs de cet enfant en cas de nécessité thérapeutique avérée et dûment justifiée lors du prélèvement« .
Diagnostic prénatal (DPN)
La question des conditions d’accès au DPN – très polémique – est demeurée en discussion jusqu’en CMP. Alors que la loi de 2004 n’instituait aucune obligation légale pour le médecin de proposer le DPN de manière systématique à toute femme enceinte, le nouveau texte de loi dispose que « toute femme enceinte reçoit, lors d’une consultation médicale, une information loyale, claire et adaptée à sa situation sur la possibilité de recourir, à sa demande, à des examens de biologie médicale et d’imagerie permettant d’évaluer le risque que l’embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de la grossesse« .
Cette obligation d’information et la nouvelle qualification de l’information délivrée à la femme viennent remplacer un amendement, passé en première lecture à l’Assemblée nationale, qui proposait que le DPN ne soit proposé à la femme enceinte que « lorsque les conditions médicales le nécessitent« , afin de limiter les dérives eugéniques liées à la systématisation du DPN.
Le texte voté revient au contraire à « légaliser une politique eugéniste en obligeant les médecins à informer toutes les femmes, c’est-à-dire à les alerter sur le ‘risque’ encouru. Cela revient évidemment à inciter au DPN avec toutes les conséquences que l’on sait », analyse dans un communiqué la Fondation Jérôme Lejeune. Le rapport du Conseil d’Etat, en 2009, indiquant que 96% des enfants trisomiques dépistés étaient avortés, avait révélé l’ampleur des dérives eugéniques.
L’article 9 autorise également les sages-femmes à prescrire le DPN.
Quelques dispositions positives ont pourtant été votées. L’alinéa 6 de l’article 9 prévoit qu’en cas de risque avéré de handicap, « une liste des associations spécialisées et agréées dans l’accompagnement des patients atteints de l’affection suspectée et de leur famille » soit proposée au couple afin de l’aider à prendre une décision éclairée par une information complète. L’article 12 bis dispose enfin que « dans un délai d’un an à compter de la publication de la présente loi, puis tous les trois ans, le gouvernement remet au parlement un rapport établissant le bilan détaillé des fonds publics affectés à la recherche sur les anomalies cytogénétiques, en particulier ceux affectés à la recherche réalisée au bénéfice de la santé des patients atteints de ces maladies. » La référence initiale à la trisomie 21, qui fait l’objet d’une stigmatisation particulière, a été supprimée.
Diagnostic préimplantatoire (DPI)
En matière de DPI, les parlementaires ont voté la pérennisation du dispositif du double DPI – également appelé DPI-HLA ou « bébé-médicament » – là encore au mépris des avertissements du Conseil d’Etat qui notait dans son rapport que « les questions posées par le ‘double DPI’ et le fait qu’il ait été peu utilisé pourraient justifier que le législateur envisage de mettre un terme à cette pratique« . Le texte précise pourtant que le recours au double DPI n’est possible que « sous réserve d’avoir épuisé toutes les possibilités » offertes par ailleurs par la loi.
Anonymat du don de gamètes
Initialement inscrite dans le texte du Gouvernement, la levée de l’anonymat du don de gamètes a été refusée par les parlementaires. Les débats ont révélé le statut très particulier des gamètes, qui, transmettant l’hérédité, ne peuvent être considérées comme des cellules comme les autres. Les conséquences de cette mesure devraient être d’autant plus sensibles que le texte de loi consacre par ailleurs une banalisation du don de gamètes.
Assistance médicale à la procréation (AMP)
Après des discussions animées, l’AMP reste réservée aux couples en situation d’infertilité « médicalement diagnostiquée ». L’accès en est donc interdit aux homosexuels et aux célibataires. Notons que les couples pacsés et les concubins pourront y avoir recours dans les mêmes conditions que les couples mariés.
L’article 19A prévoit également de promouvoir le don de gamètes, en demandant aux médecins traitants et aux gynécologues d’informer régulièrement leurs patients sur ce don. Le don de gamètes par des personnes majeures nullipares est autorisé.
L’article 19 autorise la vitrification ovocytaire. Ses partisans ont avancé que cette technique de congélation ultra-rapide permettrait de créer un stock d’ovocytes qui éviterait le recours à la congélation d’embryons surnuméraires, ainsi que de développer le don d’ovocytes. Dans les faits, il est plus probable, comme ne s’en sont d’ailleurs pas cachés un certain nombre de spécialistes de l’AMP, que vont se développer deux stocks parallèles. L’article 19 précise néanmoins que « la mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation privilégie les pratiques et les procédés qui permettent de limiter le nombre des embryons conservés. »
Le transfert d’embryon post-mortem et la gestation pour autrui demeurent interdites.
Recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires
Enjeu crucial et emblématique de la révision de la loi, l’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires assortie de dérogations a finalement été adoptée en deuxième lecture au Sénat à 164 voix contre 161. Le vote entérinait le choix de l’Assemblée nationale, le Sénat s’étant prononcé en première lecture pour l’autorisation encadrée de la recherche. Si cette interdiction a une importance symbolique, il n’en reste pas moins que la recherche sur l’embryon, fût-elle dérogatoire ou exceptionnelle, porte atteinte au respect de l’ »être humain au commencement de sa vie » tel qu’il est mentionné à l’article 16 du Code civil et affaiblit la portée du principe de dignité. Dans les faits, l’élargissement des conditions de dérogation à l’interdit – la condition de « finalité thérapeutique » étant remplacée par celle beaucoup plus large de « finalité médicale » – ouvre la porte à une instrumentalisation de l’être humain au profit des lobbies scientistes et de l’industrie pharmaceutique.
L’article 23 bis prévoit également que le « Gouvernement présente au Parlement, avant le 1er juillet 2012, un rapport relatif aux conditions de mise en place de centres de ressources biologiques sous la forme d’un système centralisé de collecte, de stockage et de distribution des embryons surnuméraires dont il a été fait don à la science« , afin de faciliter l’accès aux embryons pour les chercheurs. Le texte dispose pourtant que « les recherches alternatives et conformes à l’éthique doivent être favorisées« . L’article 24 bis A prévoit ainsi que le Gouvernement remette chaque année au Parlement un rapport sur ces méthodes alternatives.
Notons que la clause de conscience a été accordée à tout « chercheur, ingénieur, technicien ou auxiliaire de recherche quel qu’il soit, tout médecin ou auxiliaire médical » qui serait confronté à un protocole de recherche sur l’embryon humain ou les cellules souches embryonnaires humaines (article 24 quinquies).
Biopouvoir de l’ABM
L’Agence de la biomédecine (ABM), une institution dont le fonctionnement est loin d’avoir toujours été transparent, sera mieux encadrée. En matière de recherche sur l’embryon, elle devra fournir tous les ans un rapport comprenant « une évaluation de l’état d’avancement des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, incluant un comparatif avec les recherches concernant les cellules souches adultes, les cellules pluripotentes induites et les cellules issues du sang de cordon, du cordon ombilical et du placenta, ainsi qu’un comparatif avec la recherche internationale« . Ses membres auront l’obligation de déclarer chaque année « leurs liens directs ou indirects, avec les entreprises ou établissements dont les activités entrent dans le champ de compétence de l’agence« . 6 parlementaires au lieu de 2 actuellement devraient également siéger dans son Conseil d’orientation.
Evaluation de la loi
La révision périodique de la loi de bioéthique a été très discutée, certains parlementaires craignant que cela ne donne l’impression que les règles éthiques ne sont pas stables. D’autres souhaitaient qu’un rendez-vous régulier soit donné au débat parlementaire et démocratique afin d’éviter les dérives éthiques. Le texte de la commission mixte paritaire prévoit finalement que le texte voté sera révisé dans sept ans, ce qui sera précédé d’Etats Généraux de la bioéthique et d’une évaluation de son application par l’Opecst. L’opposition a œuvré pour l’adoption de cette mesure : « la clause de révision de la loi me paraît tout à fait nécessaire, dès lors que l’interdiction de principe de la recherche sur les cellules souches embryonnaires a été maintenue« , a déclaré le vice-président PS de la CMP Alain Claeys. « Il faudra revenir au plus vite sur ce texte frileux« , a renchéri un autre parlementaire de l’opposition, qui a affirmé que si la majorité change en 2012, la recherche sur l’embryon sera aussitôt autorisée.
Si la loi est votée, la vigilance demeure donc plus que jamais nécessaire quant à l’application et l’évolution possible du texte.
Ce texte est extrait de Genethique.org.
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