Voici quelques extraits du livre de la mère de Vincent Lambert, ce tétraplégique en état végétatif au cœur d’un imbroglio familial et judiciaire.
Pour la vie de mon fils, éditions Plon, parution le 7 mai 2015
«Reims, 29 avril 2013. Le plus gros choc de ma vie. Je suis au chevet de mon fils. Mon fils, vous comprenez ? Je le vois mourir sous mes yeux. Vincent n’a rien mangé depuis vingt jours. Il est à peine hydraté. Il est là, devant moi, dans un lit d’hôpital à Reims, amaigri, affaibli, et il va mourir. Dans un jour ? Dans cinq jours ? Je ne sais pas… Mais il va mourir parce que quelqu’un l’a décidé. Un médecin lui a supprimé toute nourriture, presque toute hydratation, pour le mettre sur un chemin de « fin de vie». Je parle à Vincent, mais il ne peut pas me répondre: il est en «état de conscience minimale», comme le disent les spécialistes. Il peut ressentir des émotions, mais il est incapable de s’exprimer. Il me regarde, et il pleure. Des larmes coulent le long de ses joues. Il va mourir, il souffre, je le sais: je suis sa mère!». Ce sont les premières lignes du livre de Viviane Lambert, relatant l’arrêt de l’alimentation de son fils par l’équipe médicale du CHU de Reims qui n’a alors prévenu que l’épouse, Rachel Lambert, de cette décision «collégiale», mais pas les parents. Cette première tentative de «fin de vie», qui le laissera sans nourriture pendant 31 jours, donnera lieu à la première action en justice. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ordonnera la reprise de l’alimentation de Vincent Lambert.
A propos de la première audience en référé pour interrompre le «protocole de fin de vie»: «Un moment très éprouvant. Nous n’avions jamais assisté à un procès: nous voici devant les juges, pour défendre la vie de notre fils! Je suis dans la peau de la mère d’un condamné à mort… J’ai la gorge serrée ».
« Tout est parti d’un «doute». Des aides-soignantes ont paraît-il fait savoir à l’équipe médicale – à l’automne 2012 – que Vincent montrait des signes d’inconfort pendant les soins de toilette. Nous n’en saurons jamais davantage… Ces signes ont déclenché une réflexion au mois de décembre, et cette réflexion a débouché sur une «procédure collégiale» – en février et mars 2013, selon le Dr Kariger, puis une décision, qu’il assume. Si Vincent montre des signes d’inconfort, c’est qu’il y a de sa part un «refus de soins». Et s’il refuse les soins, c’est qu’il ne veut plus vivre. Et s’il ne veut plus vivre, c’est qu’il veut mourir. Eh bien, on va l’y aider! Avec de tels raisonnements, nous serions nombreux à ne plus être là aujourd’hui… Et moi qui croyais que les équipes soignantes cherchaient justement à assurer le confort du patient, à rectifier ce qui peut le gêner à un moment ou à un autre! Si Vincent n’allait pas bien, ne fallait-il pas d’abord chercher une solution pour lui permettre de mieux vivre? (…) Mais il faut que je sois précise. Le Dr Kariger et son équipe n’ont pas évoqué un « refus de soins». Non: ils ont dit que l’attitude de Vincent à certains moments, à partir de septembre 2012, avait «laissé soupçonner un refus de soins». C’est sur une simple « suspicion » qu’ils ont décidé qu’il fallait lui supprimer tous les soins (une loi des suspects?)».
«Mais Vincent serait-il donc mort au monde à défaut d’être en mort cérébrale, comme on nous le dit aujourd’hui? En « survie artificielle»? Tout en moi hurle que ce n’est pas vrai. Je le vois vivre, évoluer, souffrir, se calmer, veiller et dormir. Je le vois parfois réagir à nos sollicitations. Quand je rends visite à Vincent, je ne passe pas des heures à côté d’une «chose» sans âme…».
«Je n’arrive pas à m’expliquer «l’affaire Vincent Lambert» s’il n’y a pas eu une volonté personnelle d’en finir avec sa vie. À aucun moment, on n’a essayé de nous faire comprendre (…) et jamais, jamais, jamais, aucun aide-soignant ou infirmier ne nous a dit que Vincent avait un problème, qu’il allait mal, ou qu’il refusait les soins… Pourquoi ont-ils tout mis en route derrière notre dos?».
Sur la deuxième tentative de «fin de vie»: «Le soir où l’alimentation de Vincent a été remise en place, le 11 mai 2013, pour moi, l’affaire était close. Terminée. La vie avait gagné, la justice avait parlé… Elle m’avait rendu mon fils. Nous sommes tout à la joie de retrouver Vincent, soulagés, heureux au-delà de tout ce qu’on peut imaginer – comme les parents d’un condamné à mort innocent qu’on viendrait de gracier. C’est à ce moment précis que le Dr Kariger – dans une colère blanche – promet de « recommencer». Il va s’obstiner dans sa démarche à un point dont nous n’avons pas encore idée. Nous ne pouvons pas deviner combien la route sera longue, combien notre vie en sera bouleversée. Mais la cruauté de ses paroles, nous la percevons sur-le-champ, elle nous frappe comme un coup de poing…».
A propos de la demande de transfert de Vincent Lambert dans une unité de soins spécialisés à son état de santé: «Le CHU de Reims se comporte comme le propriétaire de Vincent. C’est ce que je n’ai jamais compris non plus. Puisque Vincent n’est pas abandonné de ses parents, puisque des médecins sont prêts à le prendre en charge, puisqu’une place l’attend à la maison Béthel où les patients reçoivent les meilleurs soins possibles, pourquoi doit-il rester enfermé à clef dans un hôpital de Reims où l’on ne voit d’autre horizon pour lui que la mort? C’est absurde. Absurde et révoltant».