La notion d’exception d’euthanasie, introduite par le Conseil Consultatif National d’Ethique, difficile à justifier dans les principes, cherche à se donner une légitimité dans les faits.
«On devient fou, la médiatisation de l’histoire de Chantal Sebire, après celle de Vincent Humbert, perturbe les gens. Et il y aura d’autres cas, écrit le professeur Jonquet, chef du service de réanimation du CHU de Montpellier. (…) Ce qui me choque, c’est qu’on vit dans une société qui exalte le droit à la différence, mais quand les gens sont différents, on ne les regarde pas. Ce n’est pas parce qu’on perd sa position qu’on perd sa dignité. Avec son visage déformé, Chantal Sebire était confrontée à la souffrance physique, mais aussi à la souffrance de son regard sur elle-même et des autres sur elle-même. Aujourd’hui on ne tue plus les gens parce qu’ils sont noirs ou juifs, on va les tuer parce qu’ils ont une étiquette. Demain ce sera l’altzheimer, le dément, le myopathe…».
Comme le prévoyait le professeur Jonquet, la presse s’est emparée d’autres cas. Le récent acquittement [[Le procureur général de Versailles a fait appel de ce jugement]] de Lydie Debaine, qui a tué sa fille handicapée de 26 ans, les appels de Clara Blanc, 31 ans, demandant de choisir le moment de sa mort, l’arrêt de l’alimentation artificielle d’Hervé Pierra, avec ses terribles conséquences, suscitent de nouveaux débats, habilement manipulés par le lobby de l’euthanasie qui n’hésite pas à recourir à une argumentation simplificatrice, en surfant sur l’émotion. L’exemple de l’étranger vient alourdir le contexte: le Luxembourg est devenu, en février, le troisième pays de l’Union Européenne à légaliser l’euthanasie, après les Pays-Bas et la Belgique. Le suicide assisté se pratique ouvertement en Suisse.
Si, dans l’affaire Sebire, le gouvernement et le ministère de la justice n’ont pas cédé sur le principe de l’inviolabilité de la vie humaine, des décisions très diverses allant du non-lieu ou de l’acquittement à la condamnation en Cour d’Assises fournissent un prétexte pour la rédaction de nouveaux textes, devant assurer une nécessaire harmonisation.
On voit alors se multiplier les références à la notion d’«exception d’euthanasie», notion introduite par le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) dans son avis 63 du 3 mars 2000: «Fin de vie, arrêt de vie et euthanasie». Le CCNE corrigeait ainsi l’avis qu’il avait émis en 1991, et dans lequel il affirmait que «la légalisation de l’euthanasie même pour des cas exceptionnels serait source d’interprétations abusives et incontrôlables; la mort serait décidée à la demande du patient, une demande certes respectable mais dont l’ambivalence est profonde». En 2000, tenant compte, dit-il, de l’allongement de la durée de la vie et des mouvements d’opinion, il suggère donc cette procédure d’exception, au nom«de la solidarité humaine et de la compassion». «Ce n’est pas un texte en faveur de l’euthanasie, précise son président, le professeur Sicard, cette pratique restera toujours une transgression. La valeur de l’interdit du meurtre demeure fondatrice». Le CCNE ne souhaite pas que le Code pénal soit modifié ni que l’euthanasie soit dépénalisée. Il distingue l’exception d’euthanasie et une éventuelle tolérance d’euthanasies d’exception. Il s’agit d’appliquer à l’euthanasie une mesure qui existe déjà en droit, en corrigeant le Code de procédure pénale. L’acte d’euthanasie continuerait à être soumis à l’autorité judiciaire, mais la loi autoriserait celle-ci à apprécier autant les circonstances exceptionnelles que les conditions de réalisation de l’opération. Elle fournirait au juge des moyens de prendre sa décision de poursuivre ou non sans avoir à user de subterfuges juridiques.
Le montage est subtil ! «Comment ne pas voir que le compromis proposé, contrairement à ce qui est affirmé, modifierait profondément nos règles juridiques et représenterait une véritable acceptation sociale de l’euthanasie?», interrogeait alors Mgr Billé, au nom de la Conférence des Evêques de France. En fait, comment imaginer que cette procédure puisse être autre chose qu’une brèche par laquelle s’engouffreront ceux qui militent pour une dépénalisation.
Pernicieuse dans le fond, la notion d’exception d’euthanasie est dangereuse dans la forme. Pour la plupart, parler d’exception, c’est déjà accepter cette dépénalisation. Dans un article récent (Le Monde du 29 avril), le Médiateur de la République, Jean- Paul Delevoye, pose la question: «ne peut-on pas se prévaloir d’un droit, dont est titulaire chaque individu, de disposer librement de son corps?». Il oublie qu’en réalité, il s’agit le plus souvent de disposer de la vie de son prochain. Puis il affirme que «la dignité est une notion à définition variable, qui relève pour beaucoup de la subjectivité». Enfin, évoquant l’exception d’euthanasie, il franchit la porte que le CCNE, auquel il fait référence, avait en fait entrouverte. Il propose qu’une révision de la loi de 2005, sur la fin de vie, dite loi Leonetti reconnaisse «l’irresponsabilité pénale pour toute personne conduite à procéder à une euthanasie active, compte tenu d’un état de nécessité ou de contrainte que des circonstances particulières pourraient justifier».
Pratiquement, il nous paraît essentiel de ne pas toucher aujourd’hui à cette loi, toute imparfaite qu’elle soit (notamment en ne distinguant pas l’alimentation et l’hydratation des traitements). Elle n’a pas encore été vraiment appliquée. Il faut souhaiter que M. Leonetti, chargé par le Premier Ministre d’une mission d’évaluation de «sa» loi, saura résister aux pressions.
Michel Berger