Aude Mirkovic[[Maître de conférences en droit privé. Auteur de «La notion de personne. Etude visant à clarifier le statut juridique de l’enfant à naître», Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2003.]]
L’embryon est-il une personne ? La question est, volontairement, directe. En cette matière caractérisée par l’ambiguïté, on espère éclaircir quelque peu le débat en posant, au moins, clairement la question. Quant à la réponse, elle est oui, ou non. Notre civilisation ne connaît pas en effet de demi personnes ni de personnes à 80 % ou à 120%. Le recours à des qualifications intermédiaires, comme « personne potentielle »[[Comité consultatif national d’éthique, Avis n° 1, sur les prélèvements de tissus d’embryons et de fœtus humains morts, à des fins thérapeutiques, diagnostiques et scientifiques du 22 mai 1984.]], « personne humaine en devenir » ou « projet de personne », ne résout rien car, finalement, il faut traiter l’embryon comme une personne, ou pas.
La catégorie juridique des non personnes est celle des choses. C’est une catégorie résiduelle, qui englobe tout ce qui n’est pas une personne. Juridiquement, l’embryon est donc une personne ou une chose car, comme on l’a dit, il n’y a pas d’intermédiaire entre la personne et la non personne, entre la personne et la chose.
La question de la nature de l’embryon est avant tout philosophique et présente des aspects scientifiques. Pourtant, il nous faut partir de la loi car, quel que soit l’intérêt des débats pluridisciplinaires qui précèdent, accompagnent et suivent le vote de la loi, une fois celle-ci adoptée elle cristallise le débat et devient la norme qui informe la société tout entière. De façon très schématique, on peut résumer ainsi la situation.
Les lois du 29 juillet 1994 organisent le recours aux procréations médicalement assistées. Sont autorisés et réglementés le recours à l’IAC (insémination artificielle par le conjoint ou concubin), l’IAD (insémination artificielle avec donneur), la FIVETE (fécondation in vitro et transfert d’embryon). L’accès à ces pratiques est réservé aux couples hétérosexuels, mariés ou en concubinage depuis deux ans, vivants et en âge de procréer. Dans le cadre de la fécondation in vitro, des embryons sont conçus dans un tube à essai et implantés, ensuite, dans le corps de la femme. Le prélèvement d’ovocytes étant très contraignant pour la femme, on prélève en général plusieurs ovocytes en même temps. Mais, les ovocytes ne se conservant pas, ils sont fécondés immédiatement. On obtient ainsi plus d’embryons que nécessaire pour la première tentative d’implantation. Les embryons en surnombre, appelés embryons surnuméraires, sont congelés et conservés (on estime aujourd’hui à plusieurs centaines de milliers en France le nombre d’embryons surnuméraires congelés en attente qu’il soit décidé de leur sort). Pour finir, la loi de 1994 interdit le recours aux mères porteuses et l’expérimentation sur l’embryon. Il n’est pas question à l’époque du clonage.
La loi du 6 août 2004 interdit et sanctionne pénalement le clonage tant reproductif que dit thérapeutique. La loi maintient l’interdiction de principe de la recherche sur l’embryon, mais prévoit des possibilités de dérogations, dans certaines conditions très strictes. On y reviendra.
Une loi incohérente.
Certaines pratiques sont autorisées, d’autres interdites, ou autorisées à telle ou telle condition, sans qu’on comprenne bien ce qui justifie les solutions retenues. L’incohérence vient de ce que LA question centrale, dont tout découle, est toujours éludée : qu’est-ce qu’un embryon ? Précisons que, juridiquement, la question de la nature de l’embryon est celle de son statut, statut de personne, ou de non-personne (de chose). Autrement dit, la loi est incohérente car la question du statut de l’embryon est systématiquement éludée.
Les conditions dans lesquelles la loi permet d’utiliser les embryons pour la recherche sont extrêmement rigoureuses : la recherche doit répondre à certaines exigences scientifiques et ne peut être conduite que sur les embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation qui ne font plus l’objet d’un projet parental, avec le consentement écrit préalable du couple dont ils sont issus. Le protocole doit être autorisé par l’Agence de la biomédecine et les ministres chargés de la santé et de la recherche peuvent en interdire ou en suspendre la réalisation (Article L. 2151-5 du code de la santé publique). Un chercheur ne peut donc utiliser des embryons pour ses recherches que de façon très limitée, et il ne peut en concevoir in vitro à cette fin. Or, de deux choses une : si l’embryon n’est pas une personne, les conditions encadrant et restreignant son utilisation sont absurdes, et entravent inutilement l’activité des chercheurs. En revanche, si l’embryon est une personne, toutes ces précautions, si exigeantes soient-elles, n’en sont pas moins absolument insuffisantes car, en définitive, les embryons concernés sont sacrifiés à la recherche. En effet, la recherche ne respecte pas l’intégrité de l’embryon puisque ce dernier est détruit et, de toute façon, la loi interdit l’implantation des embryons ayant fait l’objet d’une recherche, c’est-à-dire ordonne leur destruction.
On voit d’où vient l’incohérence : la loi ne traite l’embryon humain ni comme une chose (une non-personne), ni comme une personne. Certaines dispositions semblent lui réserver le traitement dû aux personnes, mais d’autres sont incompatibles avec une telle qualité. On pourrait multiplier les exemples.
Dire ou décider ce qu’est l’embryon
Puisqu’une telle attitude est source d’incohérence, pourquoi persister à ne pas dire ce qu’est un embryon ? Parce que dire ce qu’est la personne et, en particulier, si l’embryon est une personne, est conçu comme revenant à décider s’il en est une. C’est considéré comme un choix, et un choix personnel, subjectif, c’est-à-dire un choix que chacun fait en conscience.
Le législateur veut laisser chacun libre de faire ce choix. Le seul moyen de trouver une règle commune, sans trancher autoritairement, est de dégager un consensus sur le sujet. On voit la démarche : le débat bioéthique ne consiste pas à rechercher ce qu’est l’embryon, mais à chercher à se mettre d’accord sur ce qu’il est. Or, un tel consensus étant impossible à trouver, on renonce à trancher la question.
Le législateur affirme vouloir se cantonner dans ce qui est proprement son rôle, poser des règles concernant l’embryon, sans se prononcer sur son statut. Les nombreux rapports rendus à propos des lois de bioéthique sont unanimes sur ce point : «Les conceptions éthiques antagonistes sur la nature de l’embryon, respectables en tant que choix individuels, ne seraient pas praticables en tant que choix de société […] La vraie question est de savoir comment l’embryon doit être traité»[[F. SERUSCLAT, Les sciences de la vie et les droits de l’homme : bouleversement sans contrôle ou législation à la française ?, Economica, 1992. p. 113.]].
Les juges emboîtent le pas, se refusant eux aussi à trancher la question. La Cour d’appel de Paris, par exemple, déclare que «le juge n’a pas à statuer en dehors [du] cadre légal, qu’il sortirait manifestement de son rôle s’il le faisait, risquant ainsi de s’ériger en moraliste ou en philosophe, […qu’] à cet égard on peut rappeler que d’éminents scientifiques n’ont pas déterminé de façon précise et univoque le début de la vie humaine […et que] le juge ne peut donc que s’en remettre à la loi» [[Paris, 15 février 1996, cité par Crim., 5 mai 1997, Bull. crim., n° 168.]]. Ce n’est pas le droit européen qui viendra en renfort puisque, pour la Cour européenne des droits de l’homme, la définition de la notion de personne relève de la marge d’appréciation des Etats[[CEDH, 8 juillet 2004, Affaire Vo c. France (position réitérée dans la décision Evans c. Royaume-Uni, 10 avril 2007).]]. Elle admet ainsi que le bénéficiaire de la convention, la personne, puisse ne pas être la même selon les différents pays du Conseil de l’Europe, que l’embryon puisse être une personne dans tel Etat et non dans tel autre…
Prétendre ne rien dire de la nature de l’embryon est voué à l’échec car, s’il n’y a pas de réglementation, cela revient concrètement à approuver ce qui se fait et, s’il y a des règles, elles reflètent une prise de position implicitement établie dans la loi. Le ministre de la santé l’avait clairement dit : «cette loi reflètera notre conception de l’homme […] chacun admet que ce n’est pas à la loi de définir la vie. Il est indéniable pourtant que cette loi reflètera notre conception de l’homme»[[B. KOUCHNER, 1ère séance du 19 novembre 1992, J.O.A.N., 1992, C.R., p. 5727.]]. C’est pourquoi faire semblant de ne pas prendre parti sur la nature de l’embryon est en fait une prise de position, à ceci près qu’elle se passe de justification : «Nous n’aborderons pas ici le débat sur le statut de l’embryon humain, car, nous le savons, trop de divergences philosophiques [vous] séparent […] Nous en resterons à la définition de potentialité de personne»[[B. KOUCHNER, 1ère séance du 19 novembre 1992, J.O.A.N., C.R., 20 novembre 1992, p. 5731.]]. Outre que le postulat (il est impossible de savoir ce qu’est l’homme, ou ce qu’est l’embryon…) est largement contestable, ceci permet, tout en refusant d’emblée le débat (il est impossible de… nous n’aborderons pas…), de le trancher… sans débattre (ce sera donc cela) !
Quant aux juges, ils doivent trancher les affaires qui leur sont soumises et chaque décision exprime une prise de position. La cour qui doit décider si le chauffard qui a blessé une femme enceinte et tué l’enfant qu’elle portait est coupable d’homicide par imprudence sur la personne du fœtus ou seulement de blessures involontaires sur la personne de la mère, ne peut éviter de se prononcer sur la nature du fœtus. A chaque fois qu’un juge applique ou écarte un texte visant l’être humain ou la personne humaine, il qualifie l’être concerné. Finalement, l’embryon est qualifié de personne devant telle juridiction mais non devant telle autre. Quant à la Cour de cassation, tantôt elle applique le droit des personnes à l’enfant à naître, tantôt elle refuse de le faire !
Pourquoi faut-il décider ce qu’est un embryon ?
Ne serait-il pas absurde de prétendre décider de la qualité de personne de mon voisin de palier, ou de telle ou telle catégorie d’êtres humains ? Dès lors qu’il s’agit de l’embryon, pourquoi admet-on sans sourciller qu’il faut décider s’il est une personne ou non ? Parce que le terme de personne est ambigu. Il désigne deux qualités, bien distinctes :
– la qualité de personne humaine, d’être humain, de spécimen biologique de l’espèce humaine
– la personnalité juridique, qui est une qualité attribuée aux individus, ou aux groupes d’individus (sociétés commerciales, collectivités territoriales) et qui leur donne la capacité juridique.
La qualité de personne humaine est une qualité intrinsèque aux individus. Un être est une personne humaine en raison de sa nature, et non parce qu’on lui attribue ou lui reconnaît cette qualité. En revanche, la personnalité juridique est une qualité attribuée. Le droit l’attribue aujourd’hui à tout être humain né vivant et viable, mais notre système juridique a connu deux catégories de personnes humaines, déjà nées, dépourvues de la personnalité juridique : les esclaves et les personnes frappées de mort civile (La mort civile était une sanction pénale consistant à retirer au condamné sa personnalité juridique). L’emploi imprécis du terme de personne conduit à appliquer le régime de la personnalité juridique, qui est un régime d’attribution, dans un domaine où seule la personnalité humaine est en cause. Cela conduit ainsi à proposer d’attribuer, ou de refuser, la qualité de personne à l’embryon.
L’embryon n’a pas la personnalité juridique, mais être une personne ne se réduit pas à avoir ou non la personnalité juridique, et ceci est vrai même pour le droit. Une personne humaine, dépourvue de la personnalité juridique, n’en appartient pas moins à la classe des personnes, comme ce fut le cas des esclaves. La loi du 24 avril 1833 désignait les esclaves sous le terme de « personnes non libres« . La Chambre criminelle, dans un arrêt du [[P.-L. FAGNIEZ, Rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la bioéthique, document Assemblée nationale n° 761, 1er avril 2003, 1ère partie, p. 12.]] février 1839, a explicitement dit que cette loi « a formellement rangé les esclaves dans la classe des personnes, et leur [a] reconnu un état civil». En dépit de la confusion qui caractérise la jurisprudence, la Cour de cassation applique, dans certains cas, le droit des personnes à l’enfant à naître, manifestant cette évidence que, même aujourd’hui, la personnalité juridique n’est pas le tout, ni même le plus important, de la personnalité. D’ailleurs, le fait d’être une personne est d’une autre portée pour un être humain que pour une société commerciale ou une collectivité territoriale, ce qui révèle bien que la personnalité juridique n’est pas seule en cause. Le droit des personnes ne concerne pas seulement l’individu dans ses prérogatives de sujet de droit mais, avant tout, en tant qu’être humain, personne humaine.
Il suffit que l’embryon soit une personne humaine pour être qualifié de personne, tout court, et cela ne dépend pas de ce qu’il a la personnalité juridique ou non. Justement, l’embryon est-il une personne humaine ?
Pour qu’il y ait une personne humaine, il faut, au moins, un être humain, c’est-à-dire un individu humain. Cette première exigence est facilement vérifiée. L’embryon humain est un individu humain, un être humain. C’est en effet un être organisé qui possède en lui-même le principe de son propre développement. Cette donnée scientifique est admise dans le débat actuel. Ce qui est en cause, c’est sa qualité de personne.
Suffit-il d’être un être humain, un individu humain, pour être une personne humaine ? De nombreux critères peuvent être proposés comme susceptibles de caractériser le moment où l’individu devient une personne. Certains sont liés à un certain seuil de développement : parmi ceux-ci, les plus couramment proposés sont, traditionnellement, la naissance ou, plus récemment, l’implantation de l’embryon.
La naissance est le seuil le plus significatif car le plus visible et, en outre, le critère de l’acquisition de la personnalité juridique. Mais qu’est-ce qui distingue fondamentalement l’enfant, une seconde avant l’accouchement, du même enfant, une seconde après ? En outre, l’accouchement peut être avancé ou retardé, et comment la qualité de personne de l’individu concerné pourrait-elle dépendre de ce que l’accouchement a été provoqué tel ou tel jour ?
Plus généralement, il est clair que la qualité de personne de l’intéressé ne saurait découler des circonstances dans lesquelles il se trouve, des éléments extérieurs à lui comme le fait d’être in utero ou déjà né, ou, encore, le fait d’être in utero ou in vitro.
Un principe de précaution
Justement, une autre proposition est de distinguer entre l’embryon pré-implatatoire, qui peut être cultivé in vitro jusqu’au septième jour, et l’embryon implanté. On utilise aussi les termes de pré-embryon ou, encore, de blastocyste, (terme scientifique qui a seulement vocation à désigner l’embryon dans cette phase précoce de son développement). Pourtant, la science établit que le développement de l’œuf humain est continu et que la nidation dans l’utérus n’entraîne pas, en elle-même, de modification mais ne fait que permettre au développement de l’embryon de se poursuivre.
Plus sérieusement, on peut songer à lier l’émergence de la personne à certains éléments considérés comme caractéristiques et qui, au-delà de formulations parfois variées, se ramènent toujours à l’un de ceux-ci : la conscience, la pensée, la relation. En particulier, la conception relationnelle de la personne sous-tend la distinction qui est faite entre l’embryon qui fait l’objet d’un projet parental et celui dont les auteurs se sont désintéressés.
L’individu humain deviendrait donc une personne avec la conscience de lui-même, la pensée ou la relation avec ses semblables. Il est naturel de songer à de tels critères, qui sont bel et bien le propre de la personne : effectivement les animaux ne pensent pas, ni n’ont conscience d’eux-mêmes ni n’entretiennent de relations avec autrui. Pour autant, aucun de ces critères n’est satisfaisant car, tous, ils désignent des actes, des actions. Tout ce qu’ils peuvent manifester, c’est le moment où la personne agit comme telle. Or, c’est le moment où la personne existe et non pas celui où elle agit qui est recherché. Pour pouvoir agir ainsi, comme une personne, il fallait que l’individu soit une personne, sinon il n’aurait pas pu poser ces actes caractéristiques.
Ces critères sont donc mal fondés philosophiquement pour identifier le moment où la personne existe. On pourrait pourtant se résigner à s’en satisfaire, dans un but pragmatique. Or, aucun des critères envisageables ne peut être utilement mis en œuvre. En effet, si on identifie l’apparition de la personne avec, par exemple, la conscience de soi, il est bien délicat de dégager un moment précis avant lequel la personne n’existe pas et après lequel elle existe. La même difficulté nous attend avec la pensée et la relation. Ces critères ne présentent donc pas d’utilité pratique, ce qui est d’ailleurs assez logique car il serait surprenant qu’ils puissent se révéler utiles pour révéler ce pour quoi ils sont mal fondés.
Finalement, le simple fait de reconnaître qu’on ne peut se prononcer avec certitude sur la nature de l’embryon devrait, en vertu du principe de précaution, suffire à le considérer, dans le doute, comme une personne. Imaginons une cour d’assises, devant laquelle une personne plaiderait ainsi : j’avais un fusil, j’ai vu bouger dans le fourré, je ne savais pas s’il s’agissait d’un collègue ou d’un gibier et, dans le doute, j’ai tiré. Un tel raisonnement a-t-il une chance de convaincre le jury ? Dans le doute, il ne faut pas tirer, car il vaut mieux laisser filer le plus beau gibier que prendre le risque de tuer une personne. Dans le doute, il vaudrait mieux renoncer à utiliser l’embryon que de prendre le risque de sacrifier une personne.
La prudence invite donc à traiter l’embryon comme une personne, pour le cas où il en serait une. Mais, de toute façon, le stade du doute est dépassé, et la raison plaide pour considérer l’embryon comme une personne, puisque rien ne justifie de distinguer l’être humain de la personne humaine. N’est-il pas logique de considérer tout être humain comme une personne humaine ? Comment un être humain pourrait-il être autre chose qu’une personne humaine ?
Admettre que l’embryon n’est pas une personne mais le devient, suppose d’admettre que certains êtres humains ne sont pas des personnes. Pourquoi cette proposition ne pourrait-elle concerner que les embryons ? La qualité de personne humaine pourrait aussi être déniée à tous les êtres humains qui ne remplissent pas la condition retenue pour passer du statut être humain au statut personne (rappelons que la notion de personne est sensée relever de l’ordre du choix subjectif). Si l’être humain, puisque l’embryon en est un, ne devient une personne que progressivement, cela exige d’admettre des états intermédiaires entre cet être humain non personne et cet être humain qui en est une : un être humain à 20%, 50%, 80%, puis 100% personne ? Et, encore une fois, pourquoi cette graduation dans la personnalité ne concernerait-elle que les embryons ?
Finalité du débat bioéthique
Tout dépend finalement d’une option philosophique de départ : soit on décide ce qu’est la personne et, en particulier, si l’embryon en est une, soit on le recherche afin de le constater. Si la réalité est objective, il faut rechercher ce qu’est l’embryon, en soi. S’il n’y a pas de nature des choses, de réalité embryon à constater, il appartient à chacun de percevoir l’embryon comme sa subjectivité le lui indique, en fonction de ses données personnelles, et à la société de trouver un consensus sur le sujet.
Le législateur actuel retient ce système subjectif, partant du principe que la nature de l’embryon est une question d’opinion. Il situe ainsi d’emblée le débat dans le système du choix, ce qui est, en soi, un choix, un parti pris de départ, qui demanderait au moins à être justifié. Par ailleurs, si ce qu’est la personne relève du choix subjectif, il faudrait en tirer les conséquences.
Comme on l’a dit, pourquoi cela ne concernerait que les embryons ?
En outre, quand bien même le choix serait cantonné au cas de l’embryon, le système ne fonctionne pas. Chacun est sensé penser ce qu’il veut de l’embryon. Est-ce le cas du chercheur qui a besoin d’embryons pour sa recherche ? Pense-t-il ce qu’il veut ? En tout cas, il ne fait absolument pas ce qu’il veut, on l’a vu. Il en va de même de l’homme et la femme à l’origine d’un embryon. Ils ne prennent pas leurs décisions en conséquence de leurs convictions personnelles, ils ne peuvent décider du sort de l’embryon que parmi les possibilités offertes par la loi. Le législateur, partisan du système du choix, ne tire pas les conséquences de son propre postulat. Est-ce que cela ne manifeste pas que, en réalité, la définition de la personne, même lorsqu’il ne s’agit que de l’embryon, ne relève pas du choix subjectif ?
Le débat bioéthique aurait beaucoup à gagner à ce que sa finalité soit redéfinie : elle devrait être non de chercher un consensus sur ce qu’est l’embryon, mais de chercher ce qu’il est. Certes, rechercher ce qu’est l’embryon, c’est prendre le risque de se tromper car, on l’a vu, il n’y a pas d’évidence en la matière. Mais, au moins, la loi ne serait pas fondée sur une option qui s’avoue elle-même n’être qu’un avis subjectif. En effet, ceux-là même qui prétendent que la question de la nature de l’embryon relève du choix individuel finissent par imposer, comme norme, leur propre avis ! En témoigne cet aveu de la commission des affaires culturelles lors de la révision des lois bioéthiques : « la commission a adopté 79 amendements au texte du Sénat, permettant de clarifier un certain nombre de points importants. Pour autant, elle ne prétend pas s’être ainsi rapprochée de la vérité s’agissant de sujets à la fois si essentiels et difficiles, car touchant à la vie »8. Elle ne prétend pas s’être rapprochée de la vérité et, pourtant, ses propositions ont vocation à devenir la loi qui s’imposera à tous !
Le dispositif normatif relatif à l’embryon ne peut être fondé que sur ce qu’est l’embryon. C’est pourquoi le droit doit dire ce qu’est l’embryon, explicitement ou implicitement, par la manière dont il le traite. Dire ce qu’est l’embryon est une affirmation qui, en tant que telle, tend à se fonder sur la réalité : on peut alors argumenter car la réalité est la référence. Si le législateur affirmait que l’embryon est une chose, il y aurait possibilité de débat. De même, si le législateur partait du principe que l’embryon doit être traité comme une personne, il y aurait, là encore, possibilité de débat. En revanche, dès lors que la nature de l’embryon est considérée comme relevant de l’opinion, un tel parti pris coupe court à tout débat.
Accepter de rechercher ce qu’est un embryon, et renoncer à le décider, c’est le moyen de rétablir le débat bioéthique sur des bases saines. En ces termes, le débat deviendra compréhensible et on sortira de cette ambiguïté qui rend toute discussion opaque et sans issue. Il n’y a rien de moins à gagner que le respect comme telle de la personne humaine, de toute personne humaine.