Dans cet ouvrage, Pascal Ide nous propose une étude très érudite sur la question centrale de l’animation de l’embryon. Docteur en médecine, docteur en philosophie, doctorant en théologie, ce prêtre du diocèse de Paris défend la thèse immédiatiste à la fois sur le plan biologique et sur le plan philosophique. En bon thomiste, sa démonstration pose dans un premier temps les différentes thèses des parties en présence, il argumente ensuite son hypothèse pour terminer par la réponse aux adversaires.
À la question « l’embryon est-il une personne humaine ? », trois réponses peuvent être données :
- soit l’embryon n’est pas une personne humaine
- soit il est une personne humaine
- soit l’embryon (n´) est peut-être (pas) une personne humaine.
Si l’embryon n’est pas une personne humaine, l’âme humaine ne vient pas animer le corps de l’embryon au moment de la conception. Pascal Ide répertorie alors pas moins de 14 arguments en faveur de l’animation médiate : les jumeaux homozygotes, les cellules totipotentes, l´origine commune du placenta et de l’embryon, l’activation du seul génome maternel, la nécessité d´un corps organisé, la discontinuité de l´embryogenèse humaine, la nécessité d´une progressive disposition à l´âme intellective, l´autonomie de l´action humaine, l´embryon comme parasité, l´embryon comme être en sommeil, l´embryon comme être de conscience, la reconnaissance par autrui, la fréquence des avortements spontanés, l´argument d´autorité.
Pour donner un avant-goût au lecteur penchons-nous sur le premier de ces arguments qui est sans aucun doute le plus courant et qui nous a été plusieurs fois donné à la suite de la parution de l´article sur l´animation de l´embryon (CSR n° 75) :
« Voici comment l´énonce un moraliste catholique français bien connu : « Si l’on considère qu’un ovule fécondé est une personne, comment alors rendre compte philosophiquement et théologiquement que, dans le cas de coupure par gémellisation (possible jusqu’à 14 jours après la conception), une personne puisse devenir deux personnes ? Comment considérer comme une personne une réalité dont l’individualité n’est même pas sûre ». La démonstration est la suivante. La personne est indivisible : en effet, qui dit personne, dit individu ; mais l’individu est par étymologie un être un, indivis par soi. Or, l’embryon est divisible, du moins jusqu’à un certain stade, […] Donc l’embryon n’est pas une personne humaine ; on ne peut parler de celle-ci que dépassée la possibilité d’apparition d’une gémellité vraie ».
Dès lors l’animation de l’embryon ne serait possible qu´au-delà du quatorzième jour. Cependant, si l’embryon n’a pas d’âme humaine avant cela, se pose alors le problème de la manipulation des embryons, et l’avortement avant 14 jours. Est-ce légitime ? Pascal Ide dénombre alors 7 arguments en faveur de la personnalisation de l’embryon dès la conception : l’autorité des hommes de science, l’entrelacement de l’union et de la procréation, le mystère des origines, la phénoménologie du don, la phénoménologie de la démaîtrise, les traumatismes de la vie fœtale, la gravité de l’avortement depuis la conception. Le premier argument illustrera cette seconde thèse :
» Le grand naturaliste doublé d’un philosophe qu’était Pierre-Paul Grassé affirmait : « Toute l’information génétique, d’où nous tirons non seulement nos structures mais aussi nos caractéristiques individuelles ; existe dans l’œuf fécondé ; l’être humain intégral se trouve donc présent dans cet œuf, alors même qu’il est indivis. Cette information demeure la même de la naissance à la mort ; elle donne à notre personnalité son fondement matériel et chimique » De même, le généticien Jérôme Lejeune, ´inventeur » de la trisomie 21 écrivait : « Accepter le fait qu’après la fécondation, un nouvel humain est parvenu à l’être, n’est plus une question de goût ou d’opinion. La nature humaine de l’être humain, depuis sa conception jusqu’à la vieillesse n’est plus une hypothèse métaphysique mais bien une évidence expérimentale » ».
Enfin, Pascal Ide nous propose une troisième thèse : ceux qui estiment que la question ne peut être tranchée. Ainsi par exemple Roberto Adorno : « on ne peut soutenir ni nier avec certitude que l´embryon soit une personne. Aucune des deux réponses ne s´impose avec netteté. Le corps minuscule de l´embryon est, certes, vivant et biologiquement humain. Mais, vu qu´il n´y a pas de moyen pour vérifier la présence d´une âme rationnelle chez lui, comment savoir s´il est animé dès la conception par un principe spirituel ou par un simple principe de vie végétale ou animale ».
Notre auteur va ensuite exposer sa thèse. La notion de personne est évidemment un concept dépassant le domaine scientifique. Toutefois avant de traiter le problème philosophiquement; une approche scientifique est nécessaire. Toutes les compétences médicales de Pascal Ide vont ici intervenir. Avec une grande précision, il nous décrit cette extraordinaire aventure de la fécondation. Il conclut en donnant cinq caractéristiques du zygote tout à fait essentielles pour démontrer l´animation immédiate du zygote : la spécificité, l´unicité, l´unité interne, la continuité de son développement et l´activité. Il les regroupe sous deux chefs : l´identité et le dynamisme : « Telles sont les deux propriétés caractéristiques de l´œuf fécondé, l´unité et l´ouverture dynamique : d´une part, depuis la syngamie, il existe et agit comme un être ontologiquement unitaire, doué d´une identité précise ; d´autre part, il est intrinsèquement orienté et déterminé à un développement bien défini » .
L’approche philosophique de Pascal Ide vient ensuite poser définitivement sa thèse. Après avoir défini la personne comme individu, comme être spirituel et comme corps organisé animé par un esprit, il écrit :
« Affirmer la présence d’une âme spirituelle dès le point de départ, loin d´offusquer la matière, d’une part l´honore, d´autre part, en sauvegarde le dynamisme intime. En effet, […] la préparation de l´embryon à l´animation spirituelle octroie un rôle démesuré à la vertu germinale des parents, donc à un agent extrinsèque, transitif. Or, la macromolécule d´ADN, constitue une cause immanente au sein du nouveau vivant. Tout à l´inverse la présence de l´esprit au point de départ immanentise le principe de croissance. Or, l´un des principes de la vision thomasienne de la réalité est d´accorder le plus d´autonomie possible à la créature, restant sauve la transcendance du Créateur et de sa motion première. Et ce principe se vérifie tout particulièrement pour l´être humain qui, de tous les vivants, a le processus de maturation le plus lent et le plus complexe : il passe d´un stade dénué d´organes fonctionnels à un état extrêmement organisé. Par conséquent, la présence d´un principe organisateur immanent à l´être humain seul honore sa consistance et son dynamisme propre : à titre instrumental comme génome ; à titre principal comme âme spirituelle ».
Enfin, la dernière partie de l’ouvrage qui est sans doute la plus intéressante, où Pascal Ide répond à chacun des arguments des partisans de l´animation médiate et des indécis.
Qu´en est-il donc du problème des jumeaux monozygotes ? Selon lui l´erreur de l´objection est double : métaphysique et cosmologique. Du point de vue métaphysique il y a une confusion des termes indivision et indivisibilité. « La première est à la seconde ce que l´acte est à la puissance. Or, la définition médiévale de l´individu utilise le terme individuum – qui signifie non divisé – et non pas indivisible. De plus, qui dit individualité dit unité. Or, le transcendantal unum comporte deux versants : l´indivision en soi et la distinction des autres réalités. Par conséquent, un individu se caractérise par son individualité, non par son indivisibilité ». L´embryon est donc un et deux en même temps, mais sous des angles différents : un en acte, deux en puissance.
Cependant, il faut éclaircir davantage ce processus de divisibilité. Mais avant cela il faut bien comprendre qu´un corps vivant indépendant est déjà animé, car un corps n´est organique qu´informé. Or, pour être spirituelle, l´âme humaine n´en est pas moins unie à son corps comme son acte, comme le principe qui lui donne d´être de vivre et d´opérer. Ce qui est vrai du vivant en général est vrai aussi de l´homme. Qu´en est-il donc du processus d´apparition des jumeaux ? Notre vision des choses trouble le problème.. Il ne faut pas voir la gémellisation comme une division en deux à l´identique. « Il s´agit, explique Pascal Ide, plutôt du détachement d´un blastomère à partir de plusieurs autres. Amputé d´une partie de lui-même le zygote est à même de reconstituer la partie manquant, cependant que les blastomères détachés sont capables de leur côté de reconstituer un œuf complet ». Ainsi, une individualité embryonnaire ne se coupe pas en deux, mais l´un des deux jumeaux précède l´autre. Le second jumeau naît à partir de l´autre. Il n´y a pas de convertibilité entre les deux embryons. Le processus est hiérarchique. Le premier système reste donc le premier système, modifié si l´on veut comme un adulte peut être amputé d´un de ses membres. « Tandis que le second système commence sa propre existence ontologique à partir du moment de la séparation, le premier système, lui, continue son développement, sans rien perdre de son identité biologique et ontologique ».
Chaque argument est ainsi contrecarré minutieusement. Pour les métaphysiciens, la réponse donnée au problème de l’organisation du corps suscitera certainement leur intérêt.
Cet ouvrage mériterait finalement plus de développement du fait de sa richesse et de son intérêt. Mais nous laisserons au lecteur la joie de parcourir ces pages et de trouver réponse à leurs multiples questions. Nous pouvons remercier Pascal Ide pour cet excellent ouvrage.
Godeleine Lafargue
Cahiers Saint Raphaël n° 78. de l’ACIM.
Questions disputées : Saint Thomas et les thomistes
Pierre Téqui éditeur. Décembre 2004
272p. 18 euros