Dans son discours de réception à l’Académie Française en Novembre 1997, le Professeur Jacob observait , je le cite : « En Sciences, la première moitié du 20ème siècle a été dominée par la physique, la seconde moitié par la biologie ». On doit ajouter que tout est allé très vite. Louise Brown, premier enfant conçue in-vitro a 27 ans[[Née le 26 juillet 1978, en Angleterre, chez les professeurs Edwards et Streptoe]], Amandine, de « fabrication française », en a 23[[Née à l’hôpital Beaulieu (professeur Testard et Friedman) le 24 février 1982]], Zoé, australienne ayant connu l’épreuve de la congélation, en a 21[[Née à Melbourne le 11 avril 1984]].
Ces événements spectaculaires sont liés à d’indéniables progrès techniques auxquels se joignent de dramatiques menaces qui mettent en cause le caractère sacré de la personne et la dignité de la procréation.
Viennent immédiatement à l’esprit les immenses progrès scientifiques et notamment la découverte de l’A.D.N. comme support de la transmission de l’hérédité et du code génétique, ouvrant la voie au «génie génétique»[[Ensemble des techniques destinées à transférer dans la structure de la cellule d’un être vivant certaines indications génétiques qu’elle n’aurait pas eues autrement.]] En trois décennies, on a pu isoler, modifier et breveter des gênes. Des perspectives, apparemment merveilleuses s’ouvrent à la thérapie génique[[- Processus par lequel on transfère un gène médicalement pour corriger une anomalie génétique. Dans les maladies génétiques, il s’agit d’apporter dans la cellule une version normale du gène défectueux; dans les maladies acquises, on introduit dans la cellule un gène ayant une fonction thérapeutique en détruisant des cellules cancéreuses ou en maintenant en vie des cellules nerveuses. Les problèmes rencontrés à Necker récemment montrent que le chemin qui reste à parcourir est immense]] mais en même temps, apparaissent les risques de la manipulation génétique. De même, on ne peut ignorer que la multiplication des tests prédictifs, que permet cette meilleure connaissance du gène, pourrait changer demain les relations du monde du travail (agissant sur les conditions de l’embauche), changer les systèmes de protection des familles ou des personnes (agissant sur les assurances ou la sécurité sociale).
On pense également aux découvertes récentes des propriétés des cellules souches[[Cette expression recouvre une réalité encore imprécise; pour l’académie des sciences, elle désigne une cellule qui, lorsqu’elle est placée dans un environnement tissulaire approprié, est capable de se multiplier et de produire des cellules spécialisées qui acquièrent une morphologie et une fonction spécifiques du tissu.]] Elles ouvrent une perspective, apparemment prometteuse elle aussi, d’une thérapie cellulaire[[Mode de traitement qui repose sur le remplacement de cellules malades ou en nombre insuffisant. Le traitement actuel des leucémies ou des cancers par greffe de moelle osseuse appartient à ce champ thérapeutique. La thérapie cellulaire est porteuse d’espoir pour soigner certains organes:le cerveau, par exemple, – maladie d’Alzheimer, de Parkinson.]]. Ces cellules souches peuvent être prélevées sur des adultes ou sur le cordon ombilical et cela ne pose aucun problème moral. Mais, sous le couvert de ce progrès thérapeutique, se glisse la démarche de chercheurs voulant récupérer ces cellules sur l’embryon au stade de blastocyste (correspondant à peu prés au développement qu’il connaît au moment de la nidation dans l’utérus), embryon que ce prélèvement détruit; ce qui évidemment suffit à condamner ce procédé qui par ailleurs, s’il était mis en oeuvre réduirait un être humain à un ensemble de pièces de rechange.
A ces progrès, il faut ajouter ceux, très réels, réalisés dans le domaine des greffes et des transferts d’organes. Mais se pose alors toute la question du consentement ; la loi définit qu’il suffit d’un consentement présumé pour rendre possible le prélèvement sur une personne décédée qui n’aurait pas déposé sur un registre ad hoc un refus explicite. Est-ce suffisant ? Se pose également à cette occasion la question de la définition de la mort. Questions difficiles.
Progrès, donc, indéniables, avec en contre partie des menaces non moins indiscutables. Celle qui aujourd’hui est particulièrement préoccupante concerne la recherche. A la notion de progrès scientifique se trouve, en effet, nécessairement liée, celle d’expérimentation pour ne pas parler de « bricolage » car dans le domaine de la biologie, bien souvent, l’on a fait avant de comprendre et de mesurer les conséquences (voir le clonage de Dolly). La recherche est le point essentiel de la révision de la loi « bioéthique » promulguée le 6 août 2004.
Dans une première partie, je voudrais évoquer le contexte dans lequel s’élabore, en France, cette bioéthique ; cette réflexion est nécessaire pour déterminer ce que ce terme ambigu recouvre. Puis, ayant constaté que l’éthique écartait la morale et, en limitant notre réflexion au domaine de la vie naissante, j’appellerai votre attention sur deux principes fondamentaux, hélas absents de cette bioéthique. Enfin, et très brièvement, j’évoquerai quelque sujets d’actualité.
Première partie : le contexte
Une révolution biologique
Nous assistons, en fait, à une véritable révolution biologique, révolution qui revêt le triple caractère, technique, moral et politique. Devant cette évolution accélérée, cette expression de « révolution biologique » a été souvent utilisée.
Le Conseil d’Etat l’avait employée lorsque l’on a commencé à réfléchir aux lois dites de bioéthique en fin des années 80. Il soulignait que les biotechniques et la biotechnologie, en transformant les modes de procréation, « révolutionnaient » notre vie intérieure et notre vie sociale.
Pour mettre en évidence un point fondamental de cette rapide évolution, le Professeur Jacques Testard, biologiste, un des pères d’Amandine utilise également le terme de « révolution ». « La grande révolution, écrit-il, fut l’extraction de l’ovule hors du corps de la femme et sa mise à disposition in vitro ». En effet, c’est bien cette mise à disposition d’ovules, que la nature avait pris soin de protéger, qui a permis toutes les techniques d’Assistance Médicale à Procréation (AMP). Dans les années 70, les femmes avaient clamé que leur corps leur appartenait. Dix ans plus tard, leur corps appartenait à la science. Il était fouillé, hyperstimulé, ponctionné.
Dès lors les frontières du naturel et de l’artificiel se brouillent. C’est l’ère des « gamètofolies », dira Monette Vaquin[[Psychanalyste, auteur de Main basse sur le vivant]]. S’exerce alors une sorte de fascination ; le terme n’est pas trop fort car c’est un mouvement extrêmement puissant qui, de scoops en faits accomplis, prend place dans notre société en dépit des objections, des risques, des dangers que mettent pourtant en évidence des études convergentes. Ni les grossesses multiples, dont le taux devient plus de 20 fois supérieur au taux normal, ni la prématurité, triple de la normale, ne contiennent, par exemple, l’avancée de la procréation artificielle. Quelle discipline médicale aurait pu parvenir à s’imposer avec un taux de 80 % d’échecs et sur fond de risques maternels et infantiles sévères ?
Redisons le : les conséquences touchent aussi bien notre vie intérieure, privée, que la vie sociale. Sont concernées toutes les relations parents-enfants et donc toute la question de filiation ; sont concernées les relations des parents entre eux et donc la définition même du modèle familial, son fondement sur le mariage. Lequel mariage était déjà bien mis à mal par le développement des techniques contraceptives. On oublie trop souvent que la mentalité contraceptive est à l’origine et qu’elle est au cœur de cette nouvelle culture.
Bioéthique et morale
C’est donc dans le contexte de cette révolution biologique, aux aspects technique, moral et politique que se situe la bioéthique. Qu’il s’agisse de contraception, d’avortement, de fécondation in vitro, d’insémination artificielle, de diagnostic prénatal ou préimplantatoire, de clonage, de génétique, de recherche biomédicale, d’intervention invasive sur des cellules germinales, « on » s’interroge sur les nouveaux pouvoirs que la biologie donne à l’homme. Et toute cette réflexion constitue « la bioéthique », à laquelle « on » demande de déterminer des normes et de fixer des barrières. Ce « on » est très général ; en témoignent les appels de certains scientifiques à légiférer sur les pratiques qu’ils ont eux-mêmes contribué à développer. Dans un climat de crise universelle, de refus de valeurs imposées, naît la peur du vide juridique.
Le Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques[[Publié par le Conseil Pontifical pour la famille., traduit en français et diffusé en avril 2005 (ed . Téqui)]] tente, sous la plume de Marc Lalonde[[Médecin canadien, membre du Conseil Pontifical pour la famille, théologien.]], une définition de la bioéthique. Toute l’introduction de son article est à citer « Le mot bioéthique a des vertus pour ainsi dire magiques. Depuis une trentaine d’années, le terme fait l’objet de nombreuses définitions. Certaines d’entre elles s’accommodent de pratiques que la morale rationnelle, indépendamment de toute référence religieuse, n’admettait pas. Tel est le cas de l’avortement, de l’infanticide, de l’euthanasie. Le drame de la bioéthique actuelle est qu’elle est légion. Elle l’est d’abord parce que, contrairement à la morale, elle ne semble pas se soucier des fondements rationnels de l’agir moral, ni de l’existence de normes morales objectives. Dès lors, le mot donne lieu à deux lectures qu’il est parfois difficile de discerner en raison des débordements d’une lecture sur l’autre. D’une part, il existe toute une bioéthique qui tend à apporter un éclairage moral aux découvertes des sciences et des techniques biomédicales. A la limite, cette bioéthique a pour seule originalité d’appliquer aux pratiques biomédicales les principes de discernement accessibles à la raison et dégagés par la morale. Mais il existe aussi une bioéthique qui se pose comme une anti-morale, comme une morale congédiant tout principe. Les bioéthiques sont alors un produit émanant de l’imagination de leurs auteurs, et qui se prêtent aux usages les plus divers. Parmi les usages les plus fréquents de cette « discipline », dépourvue de fondement et d’objet, la bioéthique est appelée à donner a priori sa caution à tout ce qu’il est possible de faire. Elle se prête aussi à l’usage inverse : apporter sa caution a posteriori à n’importe quoi de ce qui se fait »
Dans le langage officiel autant que dans le langage courant, c’est hélas cette discipline séparée de la morale qui répond aujourd’hui au nom de bioéthique, En effet ceux qui ont lancé cette discipline tendent à masquer tout souci de morale, négligeant ce que suggère l’étymologie (mores en latin et ethos en grec ont le même sens). Le professeur Lejeune disait fréquemment : quand j’entends parler d’éthique, je sais que l’on va évacuer la morale. Cette éthique repose sur un humanisme mal défini, sur une certaine notion de la liberté que l’on dit extraite des droits de l’homme.
Bioéthique : compromis et consensus
On demande à cette bioéthique, disions-nous, de déterminer des normes et par normes on entend ici aussi bien un ensemble juridique au sens strict que l’expression ambiguë de règles éthiques, politiques, économiques, formulées – il faut le souligner – sans souci de cohérence. Un bel exemple de cette incohérence nous est fourni par le Professeur Bernard qui, ayant évoqué dans son livre »de la biologie à l’éthique » l’écheveau assez infernal où s’entrelacent données biologiques, médicales, éthiques, religieuses et financières, caractérise les expérimentations sur l’homme comme « moralement nécessaires et nécessairement immorales ». De plus les préoccupations sont très diverses ;.les uns ont le souci de soigner, les autres celui de la recherche. Pour réguler tout cela, on a créé des institutions productrices d’éthique : ce sont les comités d’éthique.
Mgr Sgreccia, président de l’Académie pontificale pour la vie, consacre un article du récent lexique à ces comités : « ils ont, dit-il, une double caractéristique : l’interdisciplinarité et le pluralisme (…) En ce qui concerne la seconde de ces caractéristiques, le défi à relever est plus difficile car il faut prendre en compte des modèles éthiques différents, voire même opposés les uns aux autres, et souvent rattachés à différentes religions. On ne peut juger satisfaisant ni le minimum éthique, ni la simple vérification des procédures (consentement du patient, éthique de la majorité) ni les documents de référence internationaux, comme la déclaration d’Helsinki »[[Introduction de l’article, p.75]] Le père Verspieren, qui a représenté l’Episcopat au Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) écrivait : « l’éthicien part de la diversité des points de vue des médecins, des biologistes, des infirmiers, des malades, de l’opinion publique. Le travail consiste à entendre tout cela, à comprendre ce qui s’y révèle, à déceler les valeurs auxquelles les uns et les autres se réfèrent. Il est vain d’espérer parvenir à une éthique biomédicale unique (…) La difficulté est de parvenir à une déontologie unique. Cela suppose des compromis, un accord sur quelques points fondamentaux respectant au mieux les valeurs des différentes familles spirituelles » et l’on sait que l’expression « famille spirituelle » concerne aussi bien les religions que la libre pensée. Seule compte désormais l’obtention d’un consensus.
Une éthique procédurale
Dès lors force est de se contenter d’une éthique procédurale. Nombre de problèmes sont renvoyés à la sphère privée. On en vient à séparer éthique de conviction et éthique de responsabilité, séparation chère à M.Mattéi, ancien ministre de la santé, attaché alors à codifier la transgression. Il y a là un pragmatisme réducteur, source de contradictions flagrantes et caricaturales. La procéduralisation condamne le droit à être à la remorque des innovations technologiques et de la dégradation des mœurs. Elle est un mal de notre époque, mal de nos énarques idéalistes pour lesquels la politique est réduite à l’élaboration de procédures (voir Ph. de Villiers dans la Chienne qui miaule …) Dans le domaine qui nous concerne, cela se traduit par le refus de définir la nature de l’enfant conçu pour ne s’intéresser qu’aux procédures qui concourent à sa naissance. Mais, qu’est ce qu’une procédure sans finalité ? L’ancien ministre de l’Education, Luc Ferry, nous répond : « nous sommes, dit-il, dans une société où la science est intégrée à l’économie (on parle de technoscience), sa logique devient celle d’une compétition aveugle; on ne peut plus parler en terme de finalité. Il faut accroître les connaissances sans savoir si le progrès est vraiment un progrès ni s’il sert notre liberté et notre bonheur et donc il faut veiller à ce que l’éthique ne tue pas la science et pour cela il importe de nuancer les limites ».
Ethique évolutive
Ignorer ou refuser la loi naturelle et donc l’existence de références permanentes, universelles, contraint à devenir prisonnier d’un certain engrenage. M. Schwartzenberg, alors miistre de la santé, parlait de loi de bioéthique nécessairement évolutive. Il est vrai que M.Mattei n’a pas repris cette thèse et qu’il a affirmé au Sénat que « le législateur n’a pas, lorsqu’il édicte des principes, vocation à faire une oeuvre dont la date de péremption est déjà annoncée .On ne réinvente pas l’éthique, dit-il, à chaque nouvelle découverte scientifique » Moyennant quoi, il s’empresse d’autoriser la recherche pour une durée de 5 ans, prévoyant d’en analyser ensuite les résultats pour justifier une décision ultérieure. De même il laisse entendre que la condamnation du clonage thérapeutique pourra être revue en fonction des progrès de l’expérimentation sur les cellules souches.
Des valeurs de remplacement
L’absence de références crée un vide que viennent remplir d’une part, la place accordée au projet parental et d’autre part le mythe de la santé parfaite.
Le projet parental devient la clef de voûte de notre législation sur le début de la vie. On ne se demande plus ce qu’est l’embryon, c’est à dire l’enfant conçu, mais on ne lui attribue d’existence qu’en fonction de la relation à ses parents (qu’ils soient ou non, d’ailleurs, ses parents biologiques). Ainsi, si le couple n’a plus de projet pour ses embryons conservés congelés, trois possibilités lui sont offertes par la loi de 2004: donner ses embryons à un couple tiers, les donner à la recherche, ou provoquer l’arrêt de la conservation.
« Le mythe de la santé parfaite est un des mythes les plus puissants de notre civilisation , écrit Didier Sicard, président du CCNE. Réparer toute « anormalité » embryonnaire en l’éradiquant, réparer l’enfant par la mise au monde d’un autre enfant choisi pour cette seule finalité, réparer le vieillissement par des cellules embryonnaires issus d’un œuf fécondé ou cloné, réparer par une indemnisation la souffrance liée à la naissance d’un enfant handicapé en raison d’une maladie génétique ou infectieuse que seule sa mort ou sa non naissance aurait empêchée… Le mot d’ordre est réparation, au sens physique, moral et économique du terme. Réparer l’histoire, réparer le désastre, réparer sans cesse. » Le principe de réparation se substitue à l’acceptation de ce que certains appellent le destin, que nous appelons la Providence. La réparation sans fin est la marque de notre civilisation contemporaine qui s’éloigne plus que jamais des interrogations essentielles. « La science continue de nous éblouir, écrit encore Didier Sicard, mais elle nous exile de nous mêmes (…) Notre société s’arcboute aux deux principes de réparation et de précaution, liés comme deux infirmes qui se soutiennent dans leur faiblesse et amplifient leur détresse. Invoquer le principe de précaution pour ne pas avoir à réparer, invoquer le principe de préparation pour ne pas avoir à appliquer le principe de précaution ».
Toute la mission essentielle de la médecine est, certes, de réparer. La difficulté surgit au moment où le concept de réparation l’emporte sur le soin de la « blessure », ouverte par la réparation elle-même. Et si l’on encourage l’emploi de cellules souches embryonnaires clonées, la réparation de soi sera passée par l’instrumentalisation d’ovocytes nombreux puis d’embryons.. Le qualificatif de thérapeutique (clonage thérapeutique) camoufle ce tour de passe passe.
Et pourtant chacun a l ‘intuition que l’on ne peut pas faire n’importe quoi ; mais au nom de quoi fixer des barrières, fussent-elles évolutives ? Entrent alors dans le débat des thèmes que nous ne pouvons développer ici. On évoque la neutralité de la science et de la technique. Mais dans le monde moderne, cette neutralité est devenue une «neutralité active» si l’on peut ainsi s’exprimer. Elle se place au dessus des intérêts et des conflits particuliers avec la prétention de dégager un terrain d’entente où les oppositions politiques, religieuses, idéologiques seraient surmontées. Certes la neutralité et l’objectivité sont des nécessités opératoires pour la science. Mais porter un regard neutre sur l’homme, n’est-ce pas déjà une perversion ?
Le professeur Axel Kahn s’en remet à la démocratie pour maîtriser les dérives qu’il juge inacceptables.
D’autres nous présentent les vertus de « l’éthique de la discussion ». Il nous faut apprendre à fixer par le dialogue et l’argumentation nos règles de vie. Luc Ferry, écrivait : « Le rôle d’un comité de délibération, devrait être de soumettre à la réflexion tous les modèles d’argumentation sur les sujets débattus […] c’est alors, et alors seulement, que l’argumentation pourrait se targuer d’en avoir fini avec la tradition ».
Dérive totalitaire de la bioéthique
Ethique de la discussion, règne de l’opinion, l’étape suivante est le totalitarisme. Il faut bien qu’une opinion s’impose si l’on veut éviter l’anarchie complète. Par définition, elle ne peut le faire par elle même, en vertu d’une vérité qu’elle serait reconnue posséder. Rien n’étant ni vrai ni faux, ni bon ni mauvais, écrivait Camus, la règle sera de se montrer le plus efficace et le plus fort. C’est aussi le thème du livre de Mgr Schooyans : la dérive totalitaire du libéralisme , livre centré sur les problèmes du respect de la vie. Lors d’une journée du CCNE, Michel Raoult, tué lors de la tragédie de Nanterre, s’étant opposé à Mr Kouchner, j’ai pu entendre le ministre de la santé lui déclarer : il faut que vous appreniez à être minoritaires, même si vous avez raison.
La logique du libéralisme c’est l’orgueil, ce n’est pas l’amour ; plus une société perd son sens de la vérité, plus elle perd le sens de l’ordre, plus elle perd en force douce, expression de l’harmonie, plus elle devient société de violence.
Bioéthique, discipline réduite au discours
Marc Lalonde achevait l’introduction de l’article que nous avons longuement cité, par cette observation :« Dans les cas de figure où la bioéthique fonctionne comme une anti-morale, elle est un exercice de langage dépourvu de sens. Cette anti-morale fait de certains bioéthiciens des serviteurs obséquieux d’une cause inavouable : la maîtrise de la vie en vue de la domination des hommes »[[Article Bioéthique : définition (p.85à 103)]] Cette cause inavouable est le plus souvent masquée par des arguments compassionnels : le désir d’enfant, la perspective de guérison de maladies incurables, arguments mêlés à un suave cocktail d’incantations aux droits de l’homme et à la dignité de la personne. Type de discours que Monette Vaquin qualifie de «novlangue» bioéthique, dont le succès a envahi tous les media, tous les rapports de comités d’éthique ou de l’Académie de Médecine. « Catastrophe langagière », dit-elle encore, qui s’impose avec ses effets «déréalisants» jusque dans les textes du Code civil ou du Code de la Santé Publique. Des formules font florès en raison précisément de leur faculté à ne rien signifier, à geler l’imaginaire par leur abstraction : «Réduction embryonnaire» fut de celles là. Le projet parental, nous l’avons vu, tient lieu de raison de vivre pour l’enfant conçu, les dons de gamètes sont auréolés de l’éloge de la générosité, le clonage dans les propos d’un Premier ministre introduit les cellules de l’espérance ; mais cette espérance ne suffit pas : le diagnostic préimplantatoire opéré en vue de disposer de « matériel » pour soigner un frère ou une sœur donne naissance au bébé « du double espoir » ; la destruction d’un embryon surnuméraire pour le besoin de la recherche et le prélèvement de cellules-souches sont considérés comme offrant à celui-ci une magnifique occasion de manifester sa solidarité.
Un habillage humaniste entretient une apparence de morale. France Quéré, ayant comme Monette Vaquin assimilé la bioéthique à une chimère linguistique, Dominique Folscheid note que, si chimère il y a, elle occupe une place de choix dans le bestiaire contemporain. L’illusion, dit-il en citant Spinoza, a beau être illusion elle a néanmoins des effets. Voulant alors identifier la chimère bioéthique, Folscheid estime que c’est à la chauve-souris qu’il convient de se référer : «Je suis oiseau, voyez mes ailes. Je suis rat, voyez mes poils » dit la chauve souris. Je suis bio, voyez mes poils, dit la bioéthique, voyez mon adhésion à la science pour ne pas dire au scientisme. Je suis éthique, voyez mes ailes, j’ai des prétentions de philosophe et de moraliste. On a voulu, dit encore Folscheid, faire de l’éthique sans en avoir les moyens ou plutôt on a refusé de les prendre. Pourquoi ? pour profiter des promesses que nous offre la techno science appliquée à la vie humaine. La bioéthique est donc une expression typique du nouveau monde technicisé qui se profile sous nos yeux. Dans le contexte de la pensée unique elle représente l’éthique du politiquement correct.
J’achèverai cette réflexion générale en citant un ouvrage collectif rédigé sous la direction des professeurs Gérard Mémeteau (juriste) et Lucien Israel (cancérologue), sous le titre évocateur : le mythe bioéthique; on y trouve ce jugement : « La bioéthique est à la mode, il faut être « pour ». Et si, cheval de Troie pénétrant le droit, la morale, les déontologies, elle ne constituait qu’une habile machine de subversion des sciences médicales et d’appropriation globale de l’être humain ». Les auteurs de cet ouvrage ont alors eu pour but de dénoncer, disent-ils, « les sophismes de cette discipline hypocrite qui, agitant à tous vents les grands principes salvateurs, les corrompt par des dérogations subtiles, des exceptions discrètes et, pour écrire vrai, brade la vie, négocie l’homme, anesthésie les consciences publiques. » Ils dénoncent l’arrogance et la perversité de la bioéthique et achèvent leur introduction en écrivant : « Croyant au Ciel ou n’y croyant pas, nous avons lu le Psalmiste (ps.22) « Dès le sein maternel, j’ai été sous ta garde : dès le ventre de ma mère Tu as été mon Dieu » Avec une pointe d’ironie ils ajoutent : « Ceux qui n’ont jamais été embryons et ne seront jamais mourants resteront bioéthiciens. Nous demeurerons médecins, philosophes et juristes »
Deuxième partie : Principes fondamentaux
Nous nous limiterons aux questions liées à la vie naissante, en nous situant dans l’ordre naturel, fondement de toute morale. Il est certain que cette morale naturelle, liée à la nature humaine, se trouve « accomplie » par la morale surnaturelle, et il n’y a rien dans la morale naturelle qui ne soit repris dans la morale surnaturelle qui en prolonge toutes les perspectives jusqu’à Dieu surnaturellement connu et aimé. Reste que la morale naturelle est le fondement (« Je ne suis pas venu pour abolir mais pour accomplir » Matth. 5). La grâce se greffe sur la nature. Nous nous tiendrons donc à cette morale naturelle tout en sachant que notre propos reste tout à fait incomplet.
L’embryon est un être humain qui doit être traité et respecté comme une personne, dès sa conception.
A la question : qu’est-ce que l’embryon ? la réponse de tous les biologistes est claire : c’est un être humain. On en a toujours eu l’intuition, les mères de famille parlent de leur bébé et non de leur embryon ou de leur fœtus. Le point nouveau est que l’on est passé de l’intuition au fait scientifiquement, expérimentalement acquis. On sait aujourd’hui que tout ce qui est nécessaire au développement embryonnaire et à son déroulement est contenu dans l’œuf fécondé. C’est donc un individu et cet individu est un être humain puisqu’il en a le caryotype. Et, de fait, les professeurs axel Kahn, Jacques Testard… ont à plusieurs reprises déclaré que des affirmations contraires (introduction d’un stade pré-embryonnaire, par exemple) n’étaient employées qu’à des fins utilitaristes, afin de disposer, pendant un certain nombre de jours, de matériel pour la recherche.
L’embryon est un être humain, c’est une donnée scientifique. Est-il une personne ? Cette question qui relève de la philosophie doit-elle être posée ? Certains pensent que cela n’est pas nécessaire, le bon sens ne distinguant pas entre être humain et personne. D’autres craignent que quitter le domaine de l’expérience pour celui de la philosophie réduise la force de l’argumentation, ils assimilent en fait philosophie et opinion, montrant par là une perte du sens du degré de certitude auquel parvient la philosophie. Il semble pourtant que le concept de personne ajoute, à la connaissance biologique d’un être humain, le fondement objectif du devoir de respect de l’inviolabilité de la vie humaine, en faisant de l’être humai, un sujet de droits.. Enfin, cette réflexion sur le concept de personne est devenu inévitable après qu’une décision du Conseil Constitutionnel, en 1994, a officialisé explicitement l’existence de plusieurs catégories d’êtres humains n’ayant pas tous la même dignité ; cette même décision faisait, non plus du respect de la vie, mais du respect de la dignité de la personne, un principe constitutionnel. Cela n’était pas sans arrière-pensée: plus on prenait conscience de l’évidence expérimentale que l’embryon est un être humain, plus on a dû chercher des justifications à l’avortement, à la recherche etc. en portant le débat sur le concept de personne, terrain sur lequel bien peu de nos hommes politiques sont compétents.
Boèce définit la personne comme « un individu de nature rationnelle ». La rationalité suppose une âme spirituelle. Ame est pris ici dans son sens étymologique : « ce qui anime » et l’on peut ainsi parler d’âme végétative pour les plantes, ou sensitive pour les animaux. L’homme, capable d’avoir des idées, est doté d’une âme intellectuelle
A la différence des matérialistes nous affirmons que l’esprit ne peut naître de la matière ; ce qui suppose une intervention immédiate de Dieu, car seul Dieu crée à partir de rien. A la procréation, qui conduit à l’apparition d’un être humain, est donc nécessairement liée la création de l’âme spirituelle. Il y a une connexion nécessaire entre la procréation, acte d’individualisation et la création (ou « infusion ») de l’âme par Dieu
En affirmant ce lien logique rigoureux, nous n’exprimons pas une exigence chronologique : personne ne pourra jamais démontrer la présence de l’âme dès la fécondation. Certes toutes les découvertes de la science confortent notre intuition de cette présence. Mais aussi forte soit-elle, ce ne peut être qu’une intuition. Les théologiens n’ont pas tous le même avis ; si la plupart pensent que l’infusion de l’âme a lieu à la fécondation, certains pensent qu’elle ne peut se réaliser que quelques jours après.[[Voir dans la revue Nova et Vetera le sarticles du P. Pascal Ide sur ce sujet.]]. et le Magistère ne s’est pas prononcé. Néanmoins ; et ce point est capital, tous les Pères de l’Eglise ; tous les docteurs, et le Magistère affirment qu’il y a une règle morale certaine : l’embryon doit être traité et respecté comme une personne. Ce « comme » est très important : en effet dire que l’embryon est une personne, c’est s’engager dans des discussions sans fin (voir certains débats de l’Assemblée Nationale), discussions qui introduisent dans les esprits la fausse idée qu’il puisse y avoir plusieurs morales. Par contre dire : l’embryon doit être traité comme une personne, est une affirmation « incontournable », démontrable, notamment à partir des deux arguments suivants :
– La morale certaine repose sur le respect de l’ordre inscrit dans la nature et sur ce lien nécessaire que nous évoquions, entre procréation et création, entre l’acte d’individualisation et celui de personnification, ce qui faisait dire à Tertullien : il est déjà un homme celui qui le sera.
– Et puis, il y a une argumentation beaucoup plus simple que ne néglige pas Jean-Paul II dans Evangelium Vitae : « L’enjeu est si important, dit-il, que du point de vue de l’obligation morale, la seule probabilité de se trouver en face d’une personne suffirait à justifier la plus nette interdiction de toute intervention conduisant à supprimer l’embryon humain. Précisément pour ce motif, au delà des débats scientifiques et même des affirmations philosophiques à propos desquelles le Magistère ne s’est pas expressément engagé, l’Eglise a toujours enseigné et enseigne encore que (…) l’être humain doit être respecté et traité comme une personne dès sa conception »[[Evangelium Vitae 60, encyclique sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine, 25 mars 1995]]
Cette exigence de traiter l’embryon comme une personne doit avoir une traduction juridique. Or le droit ne connaît que deux catégories : les personnes et les choses (la summa divisio). En droit, l’embryon doit être considéré comme une personne.
Il faudrait, nous l’avons dit, prolonger dans l’ordre surnaturel cette réflexion, élaborée dans l’ordre naturel, accessible à la raison. Il faudrait, notamment, souligner que dans l’avortement, il y a non seulement destruction d’un être humain mais en plus rejet de l’Alliance que Dieu fait avec l’homme en liant création et procréation. C’est donc un crime contre Dieu.
Le lien indissoluble entre les deux significations de l’acte conjugal : union et procréation
Avec ce deuxième principe, nous restons dans l’ordre naturel. Lorsque Paul VI, dans Humanae Vitae[[Encyclique sur le mariage et la régulation des naissances, 25 juillet 1968]], rappelle cette notion de lien indissoluble, il ajoute : « Nous pensons que les hommes de notre temps sont particulièrement capables de comprendre le caractère profondément raisonnable et humain de ce principe fondamental »
Nous venons de voir que la procréation était participation à l’acte créateur de Dieu, et Dieu crée par amour. A l’origine de chaque personne, il y a un acte créateur de Dieu, acte d’amour.
L’union demande que l’on apporte quelques précisions. D’une part, la dignité de la personne exclut qu’on la transforme en instrument. La dignité de la personne impose qu’on la recherche pour elle-même et non pas pour soi, et donc, dans l’union, il y a don réciproque. D’autre part, ce don doit être total : don du corps et de l’esprit. Beaucoup de difficultés que nous rencontrons, dans la réflexion sur la procréation artificielle par exemple, viennent de ce que l’on ne place pas le corps à sa juste hauteur. Certes, il ne faut pas lui donner plus d’importance qu’il n’en a, mais il faut être conscient que l’âme et le corps sont en intime et constante collaboration et non en opposition. On peut parler d’ « unité substantielle » de l’âme et du corps, de « totalité unifiée » : le corps ne peut pas dire oui, quand le sentiment dit « peut-être » et que tout le reste de la personne dit non. Le corps signifie ce que pense l’esprit.
La sexualité présente ainsi une double finalité, liée à ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, d’une part la participation à la création, d’autre part, l’expression du don qui pour être juste exige la réciprocité et ne peut être que total. Dire qu’il y a entre ces deux significations de l’acte conjugal un lien indissoluble, c’est évoquer une connexion de droit, exigence inconditionnelle de même nature qu’entre la vertu et le bonheur.
On ne peut ici donner que quelques amorces de raisonnement conduisant à démontrer l’existence de ce lien « raisonnable » :
– L’homme et la femme qui sont appelés à coopérer au pouvoir créateur de Dieu ne sont pas des arbitres ni des maîtres de cette capacité ; ils n’ont pas le pouvoir de décider, en dernière instance, de la venue d’une personne à l’existence.
– La sexualité ne se réalise de façon véritablement humaine que si elle est partie intégrante de l’amour dans lequel l’homme et la femme s’engagent entièrement, parce que la donation physique serait un mensonge, dit Jean-Paul II, si elle n’était pas le signe et le fruit d’une donation personnelle totale dans laquelle toute personne, jusqu’à sa dimension corporelle, est présente. Et si l’on se réserve, quoi que ce soit ou la possibilité d’en décider autrement pour l’avenir, cela cesse déjà d’être un don total. Il ne peut y avoir d’union sans acceptation de la procréation.
– Etant donné que la disposition à la procréation est une coopération à l’acte créateur de Dieu et que l’acte créateur est, essentiellement, un acte d’amour, une participation personnelle à cet acte exige que l’acte procréateur soit aussi un acte d’amour. (Mgr Caffara, à propos de la procréation artificielle)
– Etant donné que la disposition à la procréation est disposition à la conception d’une nouvelle personne , la réalisation de la capacité procréatrice doit être proportionnée à la dignité de la personne conçue. Or cette exigence est respectée seulement si la capacité procréatrice est réalisée par un acte d’amour. Seul l’amour place, en effet, aussi bien celui qui procrée que celui qui est procréé, sur un plan de parfaite réciprocité et égalité. L’acte procréateur doit être en même temps un acte d’amour.
– On peut noter que si, dans la contraception, il est relativement facile de voir qu’il y a séparation entre union et procréation, c’est beaucoup moins évident dans le cas de l’assistance médicale à la procréation[[Se reporter à l’instruction Donum Vitae de la Congrégation pour la doctrine de la Foi, sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation. 22 février 1987]]. On dira, en effet, que dans le cas de la FIV homologue, il y a la volonté d’avoir un enfant l’un de l’autre et, dans notre monde subjectif, on donne alors à l’intention une valeur aussi forte qu’à l’objet même de l’acte. Néanmoins la FIV reste le résultat d’une action technique qui vient se placer à l’intérieur de l’intimité entre union et procréation. La possibilité d’être père ou mère n’est plus imputable au corps de la personne que l’on aime, à travers un acte personnel ; elle advient, certes, à partir du corps de l’époux, mais à travers une activité posée par un technicien, qui vient donc s’interposer. La nature de la fécondation in vitro est telle que l’origine de la personne humaine dépend d’autres actes que de l’acte conjugal, et qui sont posés par la liberté des autres. A cette argumentation fondamentale, on peut joindre des observations qui montrent que lorsque l’on s’écarte de la loi naturelle, on ouvre la porte à des situations paradoxales. Ainsi, entrant par l’AMP dans le domaine de la technique, on tend à se plier à sa norme qui est l’efficacité : l’eugénisme est inhérent à cette technique.
Troisième partie : Quelques éléments de l’actualité et perespectives
La loi «bioéthique ».
On avait pris l’habitude d’appeler « lois de bioéthique » deux lois du 29 juillet 1994 :
– l’une relative au respect du corps humain ; elle modifiait le code civil (et notamment l’article 16)
– l’autre relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’Assistance Médicale à la Procréation[[Par AMP on entend les pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle ainsi que toute technique d’effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel et dont la liste est définie par un arrêté du ministre de la santé.]] et au diagnostic prénatal ; elle modifiait le code de la santé publique.
Après un long processus de révision, ces lois ont été corrigées par la loi relative à la bioéthique du 6 août 2004. Le titre de cette loi consacre pour la première fois le terme de bioéthique au niveau législatif et l’on parle aujourd’hui de la « loi bioéthique ». Elle a réuni un consensus global des parlementaires. Le Conseil Constitutionnel a cependant été saisi sur l’ensemble de ce texte, mais, en fait, un seul article a vraiment motivé cette saisine : celui relatif à la brevetabilité du vivant, et le Conseil Constitutionnel a jugé qu’il n’avait à se prononcer que sur ce sujet.
Après un débat significatif (voir plus haut les remarques sur une bioéthique évolutive) il a été retenu qu’un réexamen global de cette loi serait effectué dans un délai de 5 ans. On peut prévoir, dès maintenant, que les limitations apportées à la recherche et l’interdiction du clonage thérapeutique seront au cœur de ce réexamen.
Nous passerons sur les questions relatives au don d’organes entre vivants, au transfert d’embryons post mortem, à la brevetabilité du vivant, et à la création d’une Agence de la biomédecine, pour ne retenir que la recherche sur l’embryon et ses applications dites thérapeutiques (cellules souches, clonage) ainsi que le diagnostic préimplantatoire.
La recherche sur l’embryon
La recherche sur l’embryon consiste à prélever, pour les analyser, des cellules sur un embryon au stade de ses premiers jours soit aussitôt après la fécondation in vitro, soit après décongélation d’un embryon surnuméraire. La recherche est destructrice de l’embryon et de toute manière on s’interdit de réimplanter un embryon qui a subi de tels prélèvements.
L’objectif des chercheurs est d’améliorer les connaissances sur la procréation, d’améliorer les résultats de la procréation in vitro : connaître par exemple la cause de la mortalité embryonnaire (particulièrement élevée chez l’homme), ou préciser les causes de grossesses extra utérines…Le professeur Jouannet, spécialiste de la fécondation artificielle, ne comprenait pas qu’il soit interdit de faire de la recherche sur des embryons diagnostiqués comme non viables dés la fécondation (triploïdes par exemple). Il voyait dans cette recherche la possibilité d’ouvrir la voie à la chirurgie ovocytaire ou embryonnaire.
En fait, on a beaucoup à découvrir dans le domaine de la procréation pour l’aider, et c’est un objectif louable, mais ce ne peut être à n’importe quel prix.
L’approfondissement permanent des connaissances sur le vivant est en soi un bien. Il importe donc « de prendre la mesure des problèmes moraux qui portent non sur la connaissance elle même mais sur les moyens d’acquisition du savoir, ainsi que sur les applications possibles ou prévisibles » (Jean Paul II à l’Académie pontificale des sciences). Or le nouvel être, dès sa fécondation n’est pas réductible à un patrimoine génétique. L’utiliser comme un objet d’analyse ou d’expérimentation est attenter à la dignité de la personne et du genre humain, l’homme ne peut devenir un moyen pour l’homme. L’embryon ne peut donc être l’objet d’essais qui ne seraient pas pour lui un bénéfice ni d’expériences qui impliquent des lésions irréversibles, voire sa destruction.
En se plaçant uniquement sur le terrain scientifique, une question par ailleurs se pose : puisque de nombreuses expérimentations ont déjà été entreprises sur des embryons humains, depuis plusieurs dizaines d’années, à l’étranger et même en France malgré l’interdiction (aveu du professeur Friedman) quels en ont été les résultats ? Quels enseignements irremplaçables en retirons nous ? Question à laquelle il est aujourd’hui très difficile de trouver une réponse. Le professeur Testard est sévère : « tout se passe, dit il, comme si l’enjeu véritable n’était ni la connaissance ni la médecine mais l’emprise de l’humanité sur tous les stades de son être ». On pourrait compléter ce jugement en évoquant certaines perspectives financières (brevets..)
La loi de 2004 interdit la recherche sur l’embryon….mais « par dérogation et pour une période de cinq ans les recherches peuvent être autorisées sur l’embryon et les cellules embryonnaires lorsqu’elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable en l’état des connaissances scientifiques »
Les embryons qui sont voués à cette recherche, je le répète destructive, sont les embryons surnuméraires dépourvus de projet parental. La nouvelle loi a substitué à la notion de demande des parents celle de projet parental qui masque le fait que la multiplication des embryons surnuméraires est une voie sans issue. Le projet parental devient, nous l’avons dit la clef de voûte de notre législation. Ainsi, si le couple n’a plus de projet pour ses embryons conservés congelés, trois possibilités lui sont offertes : donner ses embryons à un couple tiers, les donner à la recherche, ou provoquer l’arrêt de la conservation.
.Par contre, le gouvernement a retiré la possibilité de créer des embryons pour la recherche dans le cadre d’une AMP. Il faut être conscient qu’il s’agit là d’une démarche sans effet, dans la mesure où l’on accepte la conception d’embryons surnuméraires et leur mise à disposition des chercheurs.
L’objectif thérapeutique : cellules souches et clonage
Avec le développement de la connaissance, le second objectif avancé par les chercheurs est l’objectif thérapeutique. Ce qualificatif aide à faire passer certaines pratiques (on a parlé d’avortement thérapeutique). On lie alors la recherche à la thérapie cellulaire qui repose sur le remplacement de cellules malades ou en nombre insuffisant Les greffons nécessaires proviennent de la culture de cellules et tout particulièrement de cellules dites cellules souches. Elles ont une capacité d’autorenouvellement quasi illimitée – elles se reproduisent très longtemps sans se différencier, elles sont capables de donner naissance à des cellules de transition dont proviennent des populations de cellules hautement différenciées.
A partir des études menées depuis trente ans, il était apparu que dans de nombreux tissus adultes on trouve de telles cellules, mais on ne les estimait capables de ne donner que des cellules propres au tissu d’où elles provenaient, sans que l’on puisse envisager leur reprogrammation. Or des découvertes récentes ont mis en évidence l’existence de cellules souches pluripotentes dans la moelle osseuse, dans le cerveau, dans d’autres organes et dans le cordon ombilical. Elles peuvent donner naissance à plusieurs types de cellules, en majorité hématiques, musculaires et nerveuses. Il ne se passe guère de jours où l’on ne signale de nouvelles avancées.
L’attention publique a été focalisée ces dernières années par la découverte de cellules souches embryonnaires humaines, dotées d’un très fort « dynamisme ». La préparation de ces CSE exige évidemment la FIV ; elles sont prélevées dans la masse cellulaire interne du blastocyste (embryon au 5ème jour environ), cette opération entraînant la destruction de l’embryon. Puis elles sont mises en culture, constituant ainsi le point de départ pour la préparation de lignées de cellules différenciées. Les méthodes pour y parvenir sont encore à l’étude. Alors que des essais cliniques ont été pratiqués avec des cellules souches adultes, aucun n’a été fait avec des cellules souches embryonnaires. Lors d’un colloque organisé par le professeur Axel Kahn en septembre 2002 on a observé que de nombreux chercheurs ne s’intéressent en fait qu’aux cellules souches adultes et négligent l’embryon ; cela ressort aussi de nombreuses publications récentes.
L’usage thérapeutique de cellules souches embryonnaires comporte des risques notables. Sans parler d’une éventuelle incompatibilité entre donneur et receveur, l’extrême vitalité de ces cellules rend leur évolution difficilement contrôlable et des développements tumoraux ont été observés sur des animaux auxquels elles avaient été greffées.
La loi de 2004 autorise la recherche sur ces cellules ainsi que leur importation à des fins de recherche. M. Mattei, principal auteur de cette loi, précisait qu’étant attaché au respect de l’être humain dés son commencement, il n’envisageait cette autorisation qu’à titre dérogatoire et transitoire mais il affirmait la nécessité de mener des expériences sur les cellules souches embryonnaires afin de pouvoir faire des comparaisons utiles au études relatives aux cellules souches adultes, pour ensuite faire un choix définitif
Le clonage
Quand on parle de clonage, c’est aujourd’hui de clonage par transfert de noyau qu’il s’agit. Le clone est le produit d’une reproduction asexuée. On remplace le noyau de l’ovocyte, noyau à 23 chromosomes par celui d’une cellule prélevée sur le corps (cellule somatique) du sujet dont on veut reproduire les caractéristiques génétiques. L’ovocyte se trouve alors doté de 46 chromosomes, il peut se diviser, on initialise cette division par une excitation électrique. L’embryon ainsi formé commence à se développer. On notera que les cellules de cet embryon gardent les informations du cytoplasme de l’ovocyte que l’on a enucléé (informations encore très mal connues) ; ainsi deux clones sont-ils moins proches l’un de l’autre que deux vrais jumeaux.
A supposer que l’on soit capable de réaliser cette opération chez l’homme, l’embryon produit serait un être humain. Le clone d’une brebis est une brebis, personne n’en doute. Cet être humain pourrait alors être transféré dans l’utérus d’une femme pour ensuite voir le jour : c’est le clonage reproductif. On peut aussi interrompre son développement pour effectuer sur lui des recherches ou prélever des cellules souches en vue de créer des cultures de collections supposées compatibles avec le donneur du noyau initial. C’est le clonage que l’on qualifie de thérapeutique. Au départ, il s’agit bien de la même opération. Avant d’être thérapeutique, le clonage a commencé par être reproductif. Le clonage thérapeutique est un clonage reproductif interrompu. Non seulement on fabrique un être humain mais c’est pour le détruire.
« Le clonage constitue une rupture anthropologique très grave, une violation de la reproduction sexuée et de la différence des générations, abolissant les relations parentales et familiales » déclarait au Monde le cardinal Lustiger.« Le donateur génétique impose de manière violente au sujet cloné une domination structurelle et permanente », écrit Mgr Sgreccia vice président de l’Académie pontificale pour la vie. Il poursuit : « cela est vrai non seulement pour le clonage reproductif mais aussi pour ce que l’on a appelé le clonage thérapeutique ».
Et pourtant, il ne manque pas de chercheurs (Axel Kahn parle d’une large majorité) pour faire pression en vue d’ une autorisation du clonage thérapeutique en faveur duquel l’Académie des Sciences s’est prononcée.
Le clonage reproductif est condamné par la loi de 2004 et cette condamnation est assortie d’une incrimination pénale de « crime contre l’espèce humaine »[[Appellation discutée car le résultat de ce clonage est de faire venir à la vie un membre de cette espèce humaine.]] passible de trente ans de réclusion criminelle et de 7,5 millions d’euros d’amende. Il semble que l’incrimination n’exige pas l’obtention effective d’une naissance et que ce qui importe, c’est l’intention.
Le clonage thérapeutique est également condamné mais il est très clairement distingué du clonage reproductif. M Mattei a insisté sur cette distinction dans sa réponse au Sénat à M. Badinter ; il ne s’agit que d’un délit (7 ans de prison et 100.000 € d’amende). De plus cette condamnation est justifiée non par des arguments de fond, mais pour des raisons d’opportunité : l’état de nos connaissances en rendrait l’acceptation prématurée – cette acceptation risquerait de faciliter une étape vers le clonage reproductif – elle pourrait ouvrir la voie à un marché d’ovules difficilement maîtrisable.
Diagnostic préimplantatoire (DPI)
La loi de 1994 prescrivait que le DPI ne pouvait comporter que le dépistage in vitro d’une maladie incurable liée à des anomalies préalablement et précisément identifiées chez l’un des parents. Ce « dépistage » que le professeur Testard qualifiait « d’eugénisme démocratique, à la fois, doux, mou et insidieux » a été aggravé par la loi de 2004, prenant en compte un avis (n°72) du Comité Consultatif National d’Ethique, de juillet 2002, tendant à étendre les finalités de ce diagnostic génétique. Elle élargit les indications qui autorisent d’y recourir pour envisager non plus seulement l’intérêt de l’enfant mais l’intérêt d’un tiers. L’objectif de ce dépistage peut alors être de venir en aide à un enfant en lui greffant par transfusion des cellules souches provenant du sang du cordon lors de la naissance d’un frère ou d’une sœur. Cette opération conduit à choisir parmi les embryons fécondés ceux qui non seulement ne sont pas atteints de la maladie, mais ceux qui, en raison de leur compatibilité immunologique, procureraient un avantage thérapeutique pour un enfant malade déjà né. On a pu parler à ce sujet de l’enfant –médicament.
Bien d’autres points devraient être présentés, j’en retiens un dernier concernant les arrêts de la Cour de Cassation, refusant l’incrimination d’homicide involontaire pour une faute médicale avérée ayant entraîné la mort d’un enfant avant sa naissance (voire en cours d’accouchement) sous le prétexte que l’enfant n’avait pas respiré. Il faut espérer que le législateur modifiera la jurisprudence liée à ces affaires. La difficulté réside évidemment, ici comme dans beaucoup de cas en bioéthique, dans la crainte qu’éprouvent certains de voir remis en cause le « droit à l’avortement » confirmé et élargi par la loi de juillet 2001.
.
J’emprunte ma conclusion au P.Marie Dominique Philippe : « Nous sommes dans un siècle où l’efficacité prime et cette efficacité arrive à tuer la fécondité. On retrouve à tous moments cette séparation de l’amour et de l’efficacité. L’efficacité devient la mesure de l’activité humaine, or une activité humaine n’est jamais légitime en raison de son efficacité mais de sa finalité. Et dans la finalité, il, y a toujours l’amour, lien personnel à l’égard d’une autre personne, soit à l’égard de Dieu »
Michel Berger.Président de l’UPV.
Exposé du 16 juillet 2005Réseau Hippocrate – Le Puy en Velay