Entretien avec le docteur Nicolas Forraz[[Le Dr Forraz, d’origine lyonnaise, est docteur des Universités de Kingston et de Londres. Chercheur Senior au Centre de recherche sur le sang de cordon ombilical et la médecine régénérative de l’université de Newcastle (G.B.) et chercheur honoraire des Universités du Texas et de Rice (E.U.).]]
Une alternative à l’utilisation des embryons humains
On parle de cellules souches embryonnaires et de cellules souches adultes. Vous travaillez sur des cellules souches issues du cordon ombilical. Est-ce une troisième catégorie et quelles sont leur spécificité et leur capacité ?
Absolument! Les cellules souches du sang de cordon peuvent être qualifiées de ‘néonatales’ et scientifiquement sont intermédiaires entre les deux autres catégories.
L’avantage des cellules souches du sang de cordon, en plus d’être des cellules ‘jeunes’, est qu’ elles sont prélevées à la naissance sans heurt pour la mère et l’enfant. Par ailleurs, de nombreux travaux dans le domaine des greffes de moelle osseuse ont démontré que les cellules souches du sang de cordon étaient mieux tolérées par le receveur d’une greffe que des cellules souches adultes
Si les cellules souches embryonnaires n’ont jusqu’à présent soigné aucun patient, pouvez vous rappeler ce qu’ont permis les cellules souches adultes et celles du sang de cordon ?
Les cellules souches adultes et issues du sang de cordon peuvent être utilisées pour soigner ou traiter environ 85 maladies. Les cellules souches embryonnaires n’ont aujourd’hui jamais soigne un patient humain. En 1939, des médecins publiaient déjà dans le prestigieux journal The Lancet, en Grande Bretagne, la possibilité d’utiliser le sang de cordon ombilical pour des transfusion sanguines. Il y a 35 ans, le Dr Ende aux Etats Unis fut le premier a rapporter la transfusion de sang de cordon chez un adolescent souffrant d’une leucémie. Depuis la fin des années 80, et notamment depuis la greffe d’un sang de cordon pour soigner la maladie de Fanconie d’un jeune Américain a l’hôpital Saint Louis à Paris, plus de 10.000 patients à travers le monde ont bénéficié de thérapies grâce aux cellules souches de sang de cordon, et plusieurs centaines de milliers ont bénéficié d’une greffe de moelle osseuse. Même si, historiquement, les cellules souches adultes et de sang de cordon ont essentiellement servi à traiter des patients souffrant de pathologies liées au système sanguin et immunitaire (leucémies, ‘bébés bulles’, drépanocytose etc…) de nouvelles approches thérapeutiques se sont développées ces dernières années avec le traitement de maladies génétiques et ou métaboliques (maladie de Krabbe, Syndrome de Hurler etc). Deux innovations thérapeutiques vont certainement révolutionner la médecine moderne :
1) Plusieurs essais cliniques ont démontré la possibilité d’utiliser des cellules souches adultes pour soigner des patients atteints d’infarctus du myocarde. Cette technologie s’améliore de jour en jour et des centaines de patients ont déjà pu en bénéficier.
2) Nos collaborateurs de l’université de Floride aux Etats Unis terminent actuellement un essai clinique au cours duquel des enfants atteints d’un diabète juvénile reçoivent leur propre sang de cordon avec des résultats étonnants et une diminution significative du diabète.
Quel est aujourd’hui l’axe de vos recherches et les perspectives qu’elles ouvrent ? Est-il raisonnable d’évaluer des délais en matière de médecine régénératrice ? Pouvez-vous dire quelques mots du projet Novus Sanguis que vous avez évoqué au Sénat en novembre dernier ?
Notre groupe de recherche dirigé par le Professeur Colin McGuckin, à l’université de Newcastle se concentre sur l’ingénierie tissulaire et la médecine régénérative à partir de cellules souches du sang de cordon, du placenta mais aussi des cellules souches adultes (moelle osseuse et tissus graisseux). Nous savons notamment que plus de 20 types de tissus peuvent être fabriques en laboratoire avec les cellules souches du sang de cordon. Nous sommes les premiers au monde, par exemple, à avoir produit des tissus du foie en 3 dimensions, et des cellules pancréatique fabriquant de l’insuline. Nous avons également un programme de recherche ambitieux afin de développer des tissus nerveux avec, pourquoi pas, des applications à moyen terme pour les maladies ‘neuro-dégénératives’ (type accident vasculaire, cérébral ou à plus long terme peut être maladies d’Alzheimer et de Parkinson). Il est cependant important de préciser que les cellules souches ne vont pas tout soigner. La médecine de demain devra allier les cellules souches, aux médicaments et à des techniques de chirurgie très précises pour aider les patients. Il faut aussi être réaliste et accepter que la recherche est un processus qui apporte des résultats sur le long terme.
Mais je crois qu’il est important de rappeler que la médecine régénérative existe aujourd’hui (voir plus haut applications cardiovasculaire ou diabète) !! Ce qu’il faut c’est soutenir tous ces chercheurs à travers le monde qui peuvent apporter des solutions et des progrès grâce aux cellules souches du sang de cordon ombilical ou cellules souches adultes. Et c’est toute l’ambition de Novus Sanguis : un consortium de recherche international de recherche sur les cellules souches du sang de cordon et les cellules souches adultes à des fins thérapeutiques. Ce projet est à l’initiative de votre serviteur, du Professeur McGuckin et de la Fondation Jérôme Lejeune. Nous venons de recruter une quinzaine de laboratoires à travers le monde et nous faisons appel à tout donateur qui souhaite soutenir cette initiative. www.novussanguis.org.
En plus des activités de recherche, Novus Sanguis a une mission d’information et d’éducation sur cette recherche de pointe auprès du grand publique et des acteurs politiques et économiques. Nous nous sommes associés afin de soutenir cette recherche et de créer une passerelle entre des résultats de la recherche fondamentale dans ce domaine et des applications cliniques concrètes pour des patients en attente de solutions. Le Professeur McGuckin le dit souvent ‘To achieve the achievable ! Réaliser ce qui est déjà réalisable.’
Que peut-on attendre des découvertes annoncées par les professeurs Yamanaka et Thomson ? Evoquant ces travaux, le professeur Axel Kahn disait : Il n’est plus la peine de parler de clonage thérapeutique, puisque ce sont les cellules de la peau du patient que l’on pourrait rajeunir. Ne doit-on pas dire que ces travaux, comme ceux que vous menez sur les cellules souches du sang de cordon suppriment toute justification pour une poursuite des recherches sur les cellules souches embryonnaires ?
Le débat éthique sur les cellules souches est complexe et transcende les opinions politiques et religieuses. Je crois qu’il est important que la société se pose des questions sur la justification éthique de telle ou telle pratique de recherche. Est il concevable d’utiliser des embryons humains à des fin thérapeutiques ? Ce n’est pas au chercheur de décider mais bien à notre société grâce a un débat objectif et c’est pourquoi l’information et l’éducation sont importantes. Les travaux des Professeur Thompson et Yamanaka sont en effet très intéressants mais on reste loin de l’application thérapeutique car les méthodes employées font appel au génie génétique encore mal maîtrisé sur le plan éthique. En revanche, ce qui est intéressant c’est que ces techniques peuvent offrir une alternative et mettre fin aux controverses éthiques puisque ce type de cellules permet de mener des activités de recherche très intéressantes sans utiliser des embryons humains.
Pour ma part je suis très pragmatique et crois au potentiel des cellules souches du sang de cordon qui dans plus de 99% des cas sont incinérées dans les maternités alors qu’elles pourraient sauver des vies aujourd’hui et demain. Si vous considérez que plus de 130 millions de naissance ont lieu chaque année a travers le monde, vous imaginez qu’il y a là une ressource incroyable de cellules souches.