« Un médecin atteint d’une maladie rare témoigne »
Marie Hélène Boucand
Edition Vie Chrétienne, 108 pages – 2005
Ce livre vaut beaucoup mieux que son titre, et plus encore que son sous-titre. Car il n’est pas un témoignage – un de plus – mais une leçon, une leçon de médecine, écrite avec beaucoup de pudeur, de naturel, d’expérience et même d’humour.
Marie Hélène Boucand est ancien interne des Hôpitaux de Paris, ancien chef de service d’une unité de rééducation spécialisée dans l’accueil des comateux. Elle a exercé pendant une quinzaine d’années jusqu’à ce qu’elle doive interrompre son activité, frappée par une grave maladie génétique rarissime: un syndrome d’Ehlers-Danlos. C’est une maladie dite orpheline du tissu conjonctif touchant les muscles, les articulations, mais aussi les parois des vaisseaux et du tube digestif dans les formes graves, ce qui est son cas. Il n’y a pas de traitement, le pronostic vital est de cinq ans environ une fois le diagnostic établi. Elle est toujours là, neuf ans après… Elle a écrit une centaine de pages qui devraient être lues et méditées par tous les soignants : les médecins, les infirmières, les aides soignantes, les kinésithérapeutes. . . Il y a là des remarques, des conseils, des objections dont chacun tirera son profit, car l’expérience de Marie Hélène Boucand est double :
– Comme médecin au chevet des comateux.
– Comme malade touchée par une maladie inexorable.
Après une brève et savoureuse évocation de quelques souvenirs d’enfance et de jeunesse, c’est le premier drame de sa vie ( le second sera l’annonce de sa maladie vingt ans plus tard) : l’AVC de sa mère – alors qu’elle est en troisième année de médecine – restée depuis aphasique. Un terrible malheur qui isole plus encore que la surdité ou la cécité.
Puis elle raconte la médecine de rééducation – qu’elle choisit probablement sans s’en rendre compte à cause de l’aphasie maternelle – rééducation des post comateux, en éveil de coma, où souvent il n’y a pas grand chose à espérer, mais où il faut toujours espérer et combattre, pour faire espérer le malade afin qu’il progresse.
La thérapeutique n’est pas forcément la guérison… c’est le soin : s’occuper du malade – de chaque malade – non pas de façon stéréotypée, mais selon ses besoins, sa personnalité. A chaque fois ce sera différent, pour faire de la bonne médecine il ne s’agit pas tant d’écouter le malade, de lui prendre la main et de s’en aller… que de trouver ce qui lui convient et d’abord de le croire.
Les exemples donnés sont éblouissants. Sans cacher sa foi catholique, elle ne la met pas en avant, mais on comprend vite que pour Marie Hélène Boucand derrière chaque malade il y a le Christ. . . c’est la bonne méthode.
La première difficulté sera la famille pour laquelle rééducation signifie retour à l’état antérieur ce qui n’est jamais possible. Faire comprendre, faire admettre le handicap qui persistera, sans jamais heurter ni désespérer, n’est pas une tâche aisée. Il n’y a pas de méthode, il n’y a que des gens, tous différents. . . La deuxième difficulté sera l’attitude des soignants eux-mêmes. Ne jamais admettre le terme affreux de « légume », dont on affuble souvent les post-comateux: derrière chaque malade il y a le Christ. . . il faut y penser à chaque fois. Marie Hélène Boucand apporte là (p.32) une réponse sans réplique au docteur Chaussoy et à son chlorure de potassium intraveineux.
La deuxième partie du livre est l’expérience de la maladie, vécue par un médecin. Les interventions chirurgicales risquées pour occlusion intestinale à répétition, les hospitalisations, l’angoisse, les maladresses des confrères (le pronostic qu’on assène, le calmant qu’on refuse) comme leur chaleur humaine (la main du chirurgien posée sur l’épaule), l’infirmière qui ne sait pas palper une veine et pique à vue, l’aide soignante qui impose une couche et vous emmaillote comme un colis, le petit mot gentil la nuit quand on ne dort pas, le clin d’œil complice, l’horreur de la » réa « ,le règlement hospitalier qu’il faut subir. . . Et puis la maladie qui progresse, malgré les amis et les marques d’affection si nécessaires.
Marie Hélène Boucand termine par un bouquet de fleurs extraordinaire : plusieurs paragraphes qui se complètent :
– médecin ? malade ?
– l’illusion de savoir
– pour faire un bon malade et un bon médecin !
Une synthèse gentiment critique d’une drôlerie incroyable, mais grave aussi, sur notre exercice quotidien.
Puis pour conclure : « mes crampons pour la route », l’affirmation de sa foi catholique d’une part « le Christ est pour moi la manifestation de la vie au cœur même de l’expérience de la souffrance et de la mort », de l’autre l’importance de pouvoir parler jusqu’au bout pour ne pas s’enfermer sur soi, dans sa tour d’ivoire bardée par le malheur, mais au contraire pour conserver le rôle missionnaire qui est celui de tout chrétien, même grabataire…
Un très grand livre.
Dr. Luc Perrel
Cahiers Saint Raphaël n°81 décembre 2006