Déclaration du Conseil Permanent des Evêques de France – http:// www.cef.fr
PARIS – 25 juin 2001
» A la suite du projet de loi qui vient d’être présenté au Conseil des Ministres, le Parlement aura, dans un avenir plus ou moins proche, à se prononcer sur un certain nombre de questions relevant du domaine couramment dénommé » bioéthique ». Parmi les problèmes qui seront abordés, le plus délicat est sans doute celui-ci : est-il acceptable d’utiliser des embryons pour la recherche médicale ?
L’expérimentation sur l’animal a en effet permis de découvrir les propriétés étonnantes de certaines cellules prélevées sur des embryons aux tout premiers stades de leur développement. Ces cellules, que certains qualifient de « cellules de l’espoir », pourraient contribuer dans un avenir plus ou moins proche au traitement, par le moyen de greffes de cellules, de maladies graves actuellement incurables.
L’opinion publique attend beaucoup de ces recherches. Une loi dite de bioéthique, promulguée en 1994, avait interdit toute recherche qui lèserait l’intégrité des embryons humains. Le débat en cours porte précisément sur la modification de cette disposition.
Nous savons que Dieu « a confié la terre aux hommes pour la cultiver et la garder » (Gn 2, 15). Les deux à la fois : la cultiver, donc la faire produire ; la garder, également, c’est-à-dire la comprendre et la respecter. Cette double responsabilité doit accompagner le travail de la science et l’usage des ces découvertes. Tout progrès scientifique appelle constamment un jugement sur sa valeur et ses utilisations. Toute science est un fait social et renvoie à une appréciation éthique puisqu’elle concerne l’homme et son action. Cela est spécialement vrai aujourd’hui des recherches sur les embryons humains.
Quelles sont les données en cause ?
1. On ne peut pas détacher la valeur d’un être de sa réalité profonde. Autrement dit, la réalité des êtres ne vient pas seulement du regard de l’autre ou du désir humain. Il n’est pas possible de dire que le respect qu’on aura pour l’embryon tient seulement au désir dont il serait le simple reflet. On peut ajouter que cette réalité singulière de l’embryon humain est la même quel que soit le mode par lequel il a été obtenu.
2. Il est essentiel en effet de considérer tout embryon comme appartenant à l’humanité. Ce qui définit le stade embryonnaire est de représenter le commencement d’une vie dont l’épanouissement, s’il n’est pas entravé, se traduira par la naissance d’un enfant. Il n’y a pas d’existence humaine qui n’ait commencé par ce stade.
3. Tout être humain est précédé : il arrive dans une humanité qui le précède. Son existence s’y inscrit car il en reçoit la vie. Tout embryon est un être humain déjà. Il n’est donc pas un objet disponible pour l’homme. Il n’est pas à la merci du regard ni de l’option des autres. Il appartient avec eux à la même et unique communauté d’existence.
4. Trop nombreux sont ceux qui voudraient que le caractère humain de l’embryon ou son appartenance à l’humanité ne soient pleinement reconnus qu’à partir d’un certain stade de développement. Mais il n’est pas possible de décider d’un seuil au delà duquel l’embryon serait humain et en deçà duquel il ne le serait pas. Nul n’a le pouvoir de fixer les seuils d’humanité d’une existence singulière. Si la loi fixait d’une manière ou d’une autre un seuil d’humanité au commencement de la vie, comment cela ne conduirait-il pas à récuser l’humanité de ceux qui, à l’autre terme de la vie, auraient perdu certaines des qualités prétendument nécessaires à la reconnaissance de l’humain ?
5. Reconnaître l’exigence de nature morale, qui fait refuser l’utilisation de « cellules-souches » prélevées sur des embryons, ne revient pas à accepter passivement l’actuelle impuissance de la médecine. Au contraire, cet obstacle invite à inventorier d’autres voies de recherche, qui risquent aujourd’hui de ne pas être explorées, du fait de la fascination exercée par les multiples potentialités de l’embryon. L’existence de « cellules-souches », notamment, n’est pas propre au stade embryonnaire. Sur l’enfant et l’adulte, de telles cellules pourraient être prélevées sans porter atteinte à leur intégrité.
6. Ce que nous venons de dire touche l’utilisation, pour la recherche et la mise au point d’éventuelles thérapies, d’embryons humain constitués dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Représenterait évidemment un pas supplémentaire dans la réduction au statut de chose le fait de constituer ces embryons dans le but d’une telle utilisation. L’embryon serait alors créé purement et simplement pour être utilisé et détruit. Nous nous réjouissons qu’une telle perspective soit écartée dans le projet de loi qui vient d’être présenté en Conseil des Ministres.
Il n’est pas rare d’entendre aujourd’hui qu’il serait possible d’obtenir des « cellules-souches » embryonnaires sans créer d’embryons. Il suffirait de faire « reprogrammer » par des ovules le noyau de cellules prélevées sur le corps d’enfants ou d’adultes. Une telle pratique consiste en fait à créer des embryons par clonage. Elle est inacceptable pour les raisons énoncées ci-dessus. Il faut aussi être conscient que ce « clonage thérapeutique » peut ouvrir la voie à ce qui aujourd’hui provoque la répulsion : le clonage reproductif dont il est déjà le commencement. Il est prévu dans le projet de loi d’interdire une telle forme de production d’embryons humains. C’est, selon notre jugement, faire preuve de sagesse.
Notre propos n’est pas de suspecter a priori toute recherche. Mais il s’agit de s’interroger avec une conscience éveillée sur le danger d’instrumentalisation de ce qui est déjà humain. Certaines recherches honorent l’humanité. D’autres pratiques la blessent.
L’histoire montre que l’humanité est constamment menacée de perdre le sens d’une dignité qui fait de l’homme un être tout à fait spécifique. Les sciences biomédicales ne resteront pleinement au service de l’homme que si elles savent s’incliner devant les exigences du respect de sa dignité.
Nous connaissons la souffrance des personnes atteintes de maladies incurables. Mais, parce que nous avons le souci du respect de toute personne, aussi marquée qu’elle soit par la maladie ou par divers handicaps, nous nous devons d’appeler avec force au respect de l’embryon, cet autre maillon faible de la chaîne humaine. »
Paris, le 25 juin 2001
Le président, Cardinal Louis-Marie BILLÉ,
le vice-président, Mgr Jean-Pierre RICARD,
Cardinal Jean-Marie LUSTIGER, Mgr Bernard-Nicolas AUBERTIN, Mgr Louis DUFAUX, Mgr François FAVREAU, Mgr François GARNIER, Mgr Bernard HOUSSET, Mgr François-Xavier LOIZEAU, Mgr Yves PATENÔTRE, Mgr Albert ROUET