On appelle « euthanasie » toute attitude qui a pour but d’abréger la vie, qu’il s’agisse d’une action au d’une omission. Certains parlent de » suicide assisté « . La signification est la même.
Il faut refuser la distinction entre » euthanasie active » et » euthanasie passive » qui ne peut que semer la confusion.
Une réalité
C’est un constat qu’il faut admettre comme une évidence : l’euthanasie existe dans les cliniques et hôpitaux français ainsi qu’à domicile. On utilise classiquement le » cocktail lytique » (mélange dans une perfusion de phénergan, largactil et dolosal), qui entraîne une anesthésie et, s’il est perfusé rapidement, la mort en quelques heures. On voit aussi des injections mortelles de potassium, d’insuline…
Lorsque l’on questionne des soignants, la plupart ont vu plusieurs euthanasies. Au Pays-Bas, en 1991, on estime que plus de 3 % des décès étaient liés à une euthanasie, soit plus de 4000 morts pour un pays de 15 millions d’habitants. Si l’on rapporte ces chiffres à la population française, cela représente environ 15000 euthanasies par an.
Qui ?
Qui demande l’euthanasie ? Contrairement à ce que certains veulent bien dire, c’est tout à fait exceptionnellement que le malade demande lui-même une euthanasie. La demande vient le plus souvent de l’équipe soignante ou de la famille.
À l’origine de cette demande on trouve une souffrance face au malade, le souhait de » pouvoir faire quelque chose » pour celui dont la situation nous semble insupportable. Cette souffrance de la famille et des soignants face à la maladie et à l’approche de la mort est parfaitement naturelle. Elle n’a pas de solution, et la seule réponse qui vient parfois à l’esprit est l’euthanasie, qui peut alors sembler coïncider avec la compassion.
Un patient en phase terminale d’un cancer pris en charge dans un service de cancérologie ou de soins palliatifs a peu de risques d’être euthanasié car médecins et infirmières sont formés pour la prise en charge de ce type de malades. S’il est hospitalisé dans un service où l’on n’a aucune habitude des soins palliatifs, les soignants risquent d’être pris au dépourvu, et c’est souvent dans ces situations que l’on observe la réalisation d’euthanasies.
Pourquoi ?
Pourquoi certains malades demandent-ils l’euthanasie ? La première cause : la douleur mal calmée. Or, il est maintenant unanimement admis que la douleur peut et doit être soulagée efficacement chez tous les malades. Même si la douleur ne disparaît pas totalement, il n’est plus admissible de voir des malades souffrir au point de demander que l’on abrège leur vie.
La deuxième cause, certainement la plus importante en fréquence : la perte de dignité. La perte de l’indépendance, de l’autonomie, le rejet par les autres, le détournement du regard vont mettre le malade dans une situation intolérable. Il ne se sent plus reconnu comme une personne et peut alors être amené à demander l’euthanasie. Mais cette souffrance n’est pas liée à la maladie elle-même ou aux différents symptômes, elle est liée au regard que les autres portent sur le malade.
La vraie réponse réside donc, non pas dans l’euthanasie qui voudrait faire disparaître le malade et sa souffrance, mais dans une modification du regard porté sur le malade pour le transformer en un vrai regard d’amour qui lui rende sa dignité de personne. C’est ce que font tous ceux dont la vocation est d’aider les malades à mourir dans la vraie dignité.
La peur de l’acharnement thérapeutique
Cette angoisse de l’acharnement thérapeutique est largement répandue. C’est bien légitime car il s’agit d’un problème réel, l’acharnement thérapeutique est fréquent. Lorsqu’une équipe prend en charge un malade, et que la situation devient désespérée, il n’est pas rare que l’un des membres de l’équipe convainque les autres de l’intérêt d’une ultime thérapeutique, d’une dernière tentative. Le malade est alors entraîné dans une spirale d’examens, de traitements.
L’acharnement thérapeutique est un scandale s’il consiste à imposer à un malade des traitements, des examens, une hospitalisation, alors que les inconvénients imposés sont disproportionnés par rapport au bénéfice prévisible.
L’acharnement thérapeutique est une nécessité absolue si l’on entend sous ce terme des soins acharnés dans le but de guérir le malade avec de bonnes chances d’aboutir. On peut citer de multiples exemples des services rendus, par ce qui a pu à certains moments être considéré comme de l’acharnement thérapeutique : traitement des maladies de Hodgkin, des cancers du testicule, des leucémies aiguës par chimiothérapie intensive. Les traitements sont très lourds mais de nombreux malades sont maintenant guéris.
Sans l' » acharnement » des chirurgiens et des anesthésistes, toute la chirurgie moderne qui rend d’inestimables services n’existerait pas. Sans l' » acharnement » des pédiatres, la néonatalogie ne pourrait pas sauver des milliers de bébés chaque année.
Des « militants »
Pour ses défenseurs, être pour l’euthanasie, c’est être compatissant, faire preuve de pitié. Ceux qui s’opposent à l’euthanasie, seraient des cœurs durs, insensibles à la douleur. Il faut relire sur ce point Evangelium vitae qui montre bien que l’euthanasie résulte plutôt d’une perversion de la pitié.
Les défenseurs de l’euthanasie partent d’un constat qui est parfaitement réel la douleur est trop souvent mal calmée ; la fin de la vie est souvent une période de souffrance, difficile à supporter par celui qui meurt et par son entourage ; on a souvent l’impression que la médecine fait de l’acharnement thérapeutique ; l’euthanasie est une pratique réelle en France.
Sur ces points, il faut admettre la justesse de leurs remarques. Mais la suite du raisonnement ne peut que faire bondir ! L’euthanasie étant fréquente, il conviendrait selon eux de la légaliser pour éviter l’hypocrisie actuelle et pour permettre aux malades de mourir dans la dignité ! L’homme serait » libre » de décider de sa propre dignité, de décider s’il doit vivre ou mourir.
Une légalisation de l’euthanasie aurait des conséquences politiques évidentes, influant en cela sur la liberté de tous.
Un appel ! Que contient la demande de mort formulée par le malade ?
C’est l’appel le plus radical, la façon la plus forte de remettre en cause le médecin et toute l’équipe soignante. Lorsque l’angoisse, le désespoir, l’impression de n’être plus compris, de n’être plus reconnu comme une personne devient insupportable, lorsque l’avenir se ferme, la demande d’euthanasie est pour certains l’ultime moyen de forcer le médecin à reprendre une communication.
Le malade, dans cette demande d’euthanasie, ne demande pas au médecin de l’aider à mourir, mais demande au médecin de l’aider à vivre le temps qui lui reste. Accepter l’euthanasie, c’est refuser d’écouter la vraie demande du malade. Le médecin et la confiance
La relation médecin-malade est une relation qui repose fondamentalement sur la confiance. On remet sa santé et sa vie entre les mains du médecin, sûr qu’il fera tout son possible pour obtenir la guérison ou, au moins, pour prolonger la vie dans les meilleures conditions. On accepte bien volontiers la perfusion ou les comprimés prescrits sans pouvoir toujours parfaitement comprendre l’intérêt et le rôle de chaque médicament, sûr que l’on ne risque rien.
Que va devenir l’image du médecin, de l’infirmière, si l’on sait que ce médecin peut utiliser sa science non pas pour soigner mais pour tuer ? Accepter l’euthanasie, c’est détruire la confiance absolue que l’on est en droit d’avoir en son médecin.
La demande d’euthanasie traduit toujours un échec de la médecine. La vraie réponse passe par une remise en cause fondamentale : que n’avons-nous pas fait pour aider le malade ? Pourquoi chez lui un tel désespoir ? Pouvons-nous être absolument, catégoriquement, définitivement sûrs que nous n’aurions pas pu mieux faire, et qu’il n’est pas encore temps de mieux faire ? Sommes-nous absolument certains que, si nous ne pouvons pas y arriver par nos propres moyens, une autre équipe qui serait mieux formée aux soins palliatifs, ou qui aurait simplement un meilleur contact avec le malade, ne pourrait pas nous remplacer avantageusement ? Dans ce cas il est urgent de transférer le malade dans un autre service.
L’euthanasie est la solution de facilité
On évite de se poser des questions, et on semble régler le » problème » avec » humanité « L’euthanasie légalisée, c’est l’euthanasie obligatoire! Le malade, quand son aspect physique se dégrade, lorsqu’il devient dépendant des autres pour des actes simples de la vie quotidienne, lorsque les soins ne respectent plus ou respectent mal sa pudeur, risque de ressentir une gêne vis à vis des autres. Il se sent une charge pour l’aide soignante qui doit changer les draps plusieurs fois par jour, une charge pour l’infirmière qu’il faut appeler parce que l’on a mal, que l’on respire mal, que l’on est anxieux, une charge pour le conjoint, les enfants qui se sentent obligés de venir chaque jour.
Que va-t-il ressentir si de nombreux malades dans son état ou même mieux portants demandent à être » euthanasiés » afin de soulager l’entourage ?
Que va-t-on penser de ce malade qui se singularise en tenant tellement à la vie malgré son état de déchéance, qui impose tant de contraintes à son entourage ? Quel égoïsme ! Quel sans-gêne !
L’euthanasie légalisée s’imposera progressivement à tous par une forte pression sociale. Il sera de très mauvais goût de la refuser pour soi-même.L’euthanasie imposée par l’économie ?
Un malade » euthanasié » coûte moins cher qu’un malade en vie qui réclame des soins. Supposons un système d’assurance maladie pensant trop à la rentabilité. Il est évident que la promotion de l’euthanasie devient une priorité économique absolue. Les deux tiers de ce que nous coûtons pour notre santé sont dépensés au cours de la dernière année de la vie. Si l’on supprime tout ou partie de cette dernière année, que d’économies !
Cette logique finira par s’imposer
Prenons un exemple : parmi les critères d’évaluation d’un service hospitalier, la durée moyenne de séjour. Entre deux services, dirigés l’un par un médecin qui euthanasie ses malades, l’autre par un médecin qui s’attache à donner à ses patients des soins palliatifs, le choix sera vite fait. Si l’on cherche un responsable pour un service plus important, pour enseigner aux jeunes médecins, lequel sera désigné ?
Un choix ?
Si l’euthanasie est légalisée, cela sous-entend que les malades resteront toujours parfaitement libres de leur décision. Pourtant l’évidence contraire s’impose.
Supposons un médecin qui soit plutôt favorable à l’euthanasie. Il se présente dans la chambre de son malade pour lui expliquer que la fin est proche, qu’elle sera sans doute pénible ou douloureuse pour lui et pour son entourage. Il lui propose de l’aider dans cette période du mieux qu’il le pourra, mais il lui propose surtout une solution alternative, rapide, indolore, qui soulage tout le monde : l’euthanasie.
Présenté de cette façon, le » marché » risque d’être accepté par de nombreux malades. Face à l’autorité médicale, il est absolument exceptionnel que le malade fasse preuve de résistance. Le médecin en blouse blanche persuasif et décidé, debout face au malade alité, a pratiquement toujours gain de cause lorsqu’il veut imposer un choix au malade.
Tout va bien lorsque le médecin est guidé par une conscience droite, mais peut-on affirmer qu’il n’existe aucun médecin partisan de l’euthanasie par idéologie ?
Une société qui admet l’euthanasie reconnaît que pour certaines personnes, la vieillesse, la souffrance, la maladie, le handicap n’ont pas de sens et que la dignité de la personne peut parfois justifier le refus de ces états.
Cette société tiendra alors à peu près ce discours : » Quel sens peuvent bien donner à leur vie tous ces vieillards séniles qui continuent à vivre ? Peuvent-ils le justifier ? S’ils souhaitent continuer à vivre, pourquoi la société devrait-elle financer les soins multiples et coûteux qu’ils réclament ? Pourquoi continuer la recherche ? Pourquoi poursuivre la construction de lits de long séjour? … »
La logique de l’euthanasie, c’est une logique eugénique qui ne manquera pas de se développer.
Si le droit au » suicide assisté » doit être reconnu pour tous, il n’y a aucune raison pour que ce » droit » reste réservé aux malades. Pourquoi une souffrance familiale, sociale, professionnelle, n’ouvrirait-elle pas le même droit ? Celui qui estime n’avoir plus de raison de vivre, avoir perdu toute dignité, aurait le droit d’être » euthanasié « . Pourquoi refuser ce » confort » à tous ceux qui souffrent ? Il faut mettre les défenseurs de l’euthanasie devant leurs responsabilités : l’euthanasie légalisée pour les malades, ce sera très rapidement le » suicide assisté » pour tous et pour n’importe quelle raison.
Pourquoi une éventuelle aide au suicide devrait-elle être apportée par les médecins ? Le médecin n’a pas de formation spécifique pour donner la mort. L’euthanasie n’entre pas dans ses compétences. Si le » suicide assisté » devient un droit reconnu et défendu par la loi, ne faudrait-il pas créer une profession particulière, indépendante des médecins et du personnel soignant, spécialement formée pour donner une mort » douce » ? Ces officiants ne devraient-ils pas dépendre d’un ministère de l’eugénisme, de la démographie, de l’intérieur ou de la justice ?Il y a, aujourd’hui, un « terrain » favorable pour la légalisation de l’euthanasie
Notre société vit dans la peur de la mort, la peur de la souffrance
Tant que l’on est » normal « , capable de produire et de consommer, il faut tout faire pour vivre. Lorsque le handicap ou la maladie limitent cette » liberté « , alors il vaut mieux interrompre la vie. L’opinion publique française est majoritairement favorable à l’euthanasie (60 % des Français disent qu’ils l’accepteraient pour eux-mêmes !).
Les mentalités sont déjà largement préparées. Il suffira de présenter dans la presse quelques cas particuliers, les plus douloureux que l’on puisse trouver. Un large consensus médiatique sera facilement trouvé pour admettre que la législation actuelle n’est plus adaptée à la réalité des faits. Quelques personnes bien intentionnées présenteront leurs projets de loi. À condition d’y inscrire une clause de conscience pour les médecins et de multiples précautions évitant les euthanasies » abusives « , ce texte sera facilement voté par tout parlement, quelque soit sa couleur politique. Les opposants seront écoutés poliment mais on leur interdira » d’imposer leur opinion « . Toute loi légalisant l’euthanasie est une loi totalitaire !
La proportionnalité des soins
Bien souvent dans le débat sur l’euthanasie, les partisans de la légalisation font volontairement l’amalgame entre l’euthanasie telle que nous l’avons précisément définie au début et l’arrêt d’une thérapeutique inutile par respect pour le malade mais sans intention d’abréger sa vie. Il faut absolument dénoncer cette manipulation et défendre le principe de proportionnalité des soins.
Leur argumentation repose, entre autres, sur la terreur de l’acharnement thérapeutique, la peur de la douleur et de la déchéance. Ils n’ont pas réellement confiance dans la médecine et les médecins qui ne seraient pas capables de les considérer comme une personne.L’Église catholique n’est pas « pour » la douleur
On reproche souvent à l’Église catholique d’être contre le traitement de la douleur, de penser que la douleur est » rédemptrice » et qu’il faut laisser les malades souffrir.
L’Église catholique n’a, par la voix du Magistère, jamais pris position contre le traitement de la douleur, elle a au contraire encouragé toutes les entreprises visant à soulager la douleur physique. Les chrétiens sont d’ailleurs très nombreux dans le combat pour les soins palliatifs et pour le traitement de la douleur.
Les soins palliatifs ne sont pas une invention récente. Pour certains, ils dateraient d’une trentaine d’années, principalement développés à partir du Saint Christopher Hospice à Londres. Pourtant, depuis 1500 ans, c’est l’Église qui a assuré les soins palliatifs, utilisant à chaque époque les moyens à la disposition de la médecine, mais surtout montrant toujours l’exemple de l’amour et de la vraie compassion. Les soins palliatifs sont l’attitude normale de celui qui essaie d’aider et de soigner le mourant avec charité et avec intelligence.
Être là jusqu’au bout
On entend souvent cet argument : vous dites être contre l’euthanasie, mais vous défendez pourtant le traitement de la douleur même en prenant le risque avec le traitement antalgique d’abréger la vie du patient. Quelle différence avec celui qui emploie parfois le même médicament, avec des doses simplement un peu plus fortes, pour abréger la vie de son malade ?
Il existe pourtant une différence fondamentale d’intention qui se traduira dans d’autres situations par des différences de pratique : devant un malade qui demande à être » euthanasié « , le premier médecin ne se résoudra jamais à cette attitude et essaiera jusqu’au bout d’aider son malade à vivre, le second accédera plus ou moins rapidement à sa demande.
Il faut traiter la douleur parce que la douleur est odieuse. La douleur extrême risque d’empêcher toute communication, obnubilant totalement la conscience du malade. Le soulagement dans ce contexte est un impératif catégorique. Certains malades, rares, pour participer à la Passion du Christ, souhaitent ne pas être soulagés, ou n’être soulagés que partiellement de leur douleur, le médecin doit respecter ce choix.Il faut exiger le développement des services de soins palliatifs. Il faut exiger que les médecins soient mieux formés au traitement de la douleur, à la prise en charge des malades à l’approche de la mort.
Il faut réclamer le droit pour le malade à définir sa vie dans la vraie dignité qui consiste non pas à être » euthanasié proprement « , mais à vivre ses derniers jours respecté, aimé, et lorsque c’est possible, de pouvoir profiter de ces moments pour obtenir une vraie réconciliation avec les autres, avec soi-même et avec Dieu. Ce désir de réconciliation est en effet au centre des demandes des malades.