La vie et la mort

La tentation de décider de la vie ou de la mort, en fonction des circonstances, guettent l’homme contemporain.

Tentation soigneusement entretenue par les médias. Décryptage de quelques cas emblématique.

La souffrance et la mort ont toujours alimenté les conversations humaines. Ce sont deux mystères sur lesquels notre nature humaine se révolte et à juste raison. Les anciens devaient accepter par fatalisme leur existence. Le monde moderne s’est attaqué à la solution de ces problèmes avec toute la force du progrès technique, allant de l’acharnement thérapeutique aux soins palliatifs.

Acharnement médiatique

Mais il est un autre acharnement qui se développe : c’est l’acharnement médiatique.

Il a une force inouïe. Ainsi il ne se passe pas de mois, voir de semaines sans que les médias qui sont devenus nos maîtres à penser nous informe avec luxe de détails, et un voyeurisme éhonté, de situation de fin de vie douloureuse. Tout ceci dans un but qui crève les yeux: briser le tabou de l’euthanasie. Le dernier bastion de la législation chrétienne en France. Ainsi nous nous souvenons tous de l’émotion déclenchée en septembre 2003 par la médiatisation du décès de Vincent Humbert.

Ce jeune homme Vincent Humbert, tétraplégique depuis trois ans à la suite d’un accident de la route, est hospitalisé au centre hélio-marin de Berck-sur-Mer dans le Pas-de-Calais, de grande réputation. Il avait écrit – ou on lui avait fait écrire – au Président de la République en décembre 2002 pour réclamer « le droit de mourir », et cette lettre fut largement médiatisée. De même il avait écrit – ou on avait écrit pour lui – un livre que l’ on a pu trouver dans toutes les gares le jour même de son décès, survenu à la demande publique de sa mère, et, semblait-il, réalisé par le chef du service de réanimation, le docteur Frédéric Chaussoy, qui aurait « débranché » le respirateur, artificiel.

6.000 personnes à l’enterrement, le Président J.Chirac envoie des fleurs et son secrétaire adjoint : Frédéric Salat Baroux. La presse célèbre à l’envie la mère héroïque Marie Humbert et le docteur- courage Chaussoy, qui ont su mettre fin à une situation intolérable.

D’emblée l’affaire est placée sous le signe de la manipulation. On sait de Vincent Humbert, 21 ans au moment de sa mort, qu’il est tétraplégique depuis 3 ans, aphasique et aveugle, mais il est conscient. Il s’alimente, semble-t-il. On le promène en fauteuil roulant. Il est aussi atteint d’un « locked synshy;drom » – notion de description récente – qui frappe les grands handicapés neuroloshy;giques et correspond à un désespoir profond, à un enfermement sur soi-même dont il est difficile de les sortir. Plusieurs cas semblables existent au centre hélio-marin de Berck.

Le 24 septembre, la mère de Vincent, Marie Humbert, injecte, semble-t-il, à l’hôpital dans une perfusion, une dose massive de Nesdonal (un anesthésique puisshy;sant d’usage courant), qui le plonge dans un coma profond. Elle déclare avoir voulu faire mourir son fils comme elle l’avait annoncé.

Placée en garde à vue pendant 24 heures, elle est rapidement libérée. Situation extraordinaire, pendant cette garde à vue, elle va se rendre à 1 ‘hôpital voir son fils avant que le respirateur ne soit débranché, accompagnée de la sous-préfet de Monshy;treuil qui lui témoigne « toutes les attentions dues à une mère dans l’ épreuve », rapporte le « Quotidien du Médecin » le 6.11.03.

Le 26 septembre, Vincent décède après avoir été – dit-on – « débranché » par le chef du service de réanimation le docteur Chaussoy, qui déclare: « c’est moi qui l’ai tué » en ajoutant qu’il avait commis ce geste en accord avec l’équipe soignante.

Une agitation énorme s’empare alors de l’affaire: la presse, la télévision, les coups de téléphone, les lettres d’injure ou de soutien, s’abattent sur l’hôpital de Berck au point que tout le personnel de 1 ‘hôpital se trouve ahuri, inquiet, déstabilisé. Une cellule de crise psychologique est réunie pour faire face, à ce qui semble bien, à beaucoup, une orchestration soigneusement préparée à l’avance.

Puis on apprend que Vincent Humbert n’a pas été « débranché » comme on l’avait dit au départ, mais que le docteur Chaussoy – après le Nesdonal qui semble avoir été insuffisant pour le faire mourir – lui avait injecté une dose mortelle de chlorure de potassium intraveineux. En précisant d’autre part: « on aurait pu faire comme d’ habitude et ne pas en parler, j’ai préféré faire cesser cette hypocrisie » . . .

Fin octobre, une information judiciaire est ouverte et le docteur Chaussoy officiellement inculpé, à son grand étonnement, car il a reçu de nombreux soutiens. Plus de 1.500 lettres de la France entière, l’appui du Conseil de l’Ordre des médecins, non seulement de son département mais celui du Conseil National qui, par la voix de son président, le docteur Duclaux, estime – de façon totalement surréaliste – que « ce geste s’inscrit dans l’ esprit de l’ article 37 du code de déontologie ».

Le 1er octobre déjà une centaine d’anesthésistes réanimateurs, tous PH (praticien hospitaliers),avait envoyé bruyamment au docteur Chaussoy une motion de soutien « en hommage à la décision de l’ équipe de réanimation » de Berck.

Le 17 novembre, réunis à nouveau à 1 ‘hôpital Cochin – après l’ annonce des poursuites judiciaires par le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer – les mêmes anesthésistes, après une empoignade semble-t-il homérique, adoptent un profil bas et rédigent un communiqué lénifiant affirmant ne pas vouloir « entraver le travail de la justice »

Le 13 janvier 2004, Marie Humbert est mise en examen pour « administration de substances toxiques », peine maximale prévue: 5 ans de prison. Le 14 janvier le docteur Chaussoy, qui revendique toujours « un acte médical courageux, une décision d’ humanité », est mis à son tour en examen pour « empoisonnement avec préméditation ». Ils sont ressortis libres tous les deux du bureau du juge d’instruction de Boulogne.

« L’affaire Vincent Humbert fera-t-elle changer la législation interdisant l’euthanasie en France ? Si les parlementaires y réfléchissent, les médecins eux restent sceptiques sur l’opportunité d’une loi. » titrait le 22 janvier 2004 le Quotidien du Médecin.

Accompagnement de fin de vie et euthanasie

Une commission parlementaire, dont le président rapporteur est le docteur Jean Leonetti (UMP) a été constituée le 15 octobre 2003, à cause de l’affaire Chaussoy. Elle est consacré « à l’accompagnement de fin de vie ». Elle a enquêté en auditionnant « des personnalités du monde médical, philosophique et religieux » .

Elle a réalisé un travail de grande qualité. Le débat aura permis de réaffirmer la dignité de la personne malade, l’exigence de soulager la douleur, le rôle essentiel des soins palliatifs et la nécessité d’en garantir l’accès à tous les malades qui en ont besoin, le droit du malade de refuser des traitements, le devoir du médecin de ne pas débuter des soins disproportionnés ou de les interrompre. Des pratiques injustes et pourtant régulièrement décelables dans notre système de santé (soins disproportionnés, non-écoute des patients, piqûre létale…) ont été clairement condamnées.

L’état de l’opinion et de la représentation nationale pouvaient nous faire craindre une dépénalisation explicite de l’euthanasie. Alors que la logique euthanasique pouvait apparaître comme inéluctable, le travail de cette mission aboutit finalement à une proposition de loi qui, fait remarquable, est acceptée à l’unanimité des participants à la mission. Le texte sera voté en première lecture à l’Assemblée nationale le 30 novembre dernier, avec quelques modifications mineures. Sans doute le pire a-t-il été évité.

La loi  » fin de vie  » a été adoptée définitivement le mardi 12 avril 2005. Le Sénat l’ayant votée dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale( 30 /11/04), le débat parlementaire est maintenant clos.

Mais la loi votée en première lecture est loin d’être parfaite, elle souffre de graves ambiguïtés. Nous y reviendrons. N’oublions pas que cette commission et ce texte sont nés de l’émotion suscitée par le décès de Vincent Humbert en septembre 2003.Ce qui nous oblige à faire remarquer comme cette affaire a d’étrange ressemblance avec ce qui s’est passé chez nos voisins européens..

En Angleterre, le débat était relancé, avec l’affaire Diane Pretty une femme de 43 ans atteinte d’une maladie neuro-dégénérative incurable à un stade très avancé, totalement paralysée, depuis que Lord Joel Joffe, juriste et ancien défenseur des droits de l’homme qui avait défendu Nelson Mandela, a annoncé vouloir faire entrer le suicide assisté dans le droit britannique.

Le débat avait même été amené devant la Cour européenne des droits de l’homme en avril 2002. Débouté dans son pays, Diane Pretty, avait vu rejetée sa demande de se « faire suicider » par son mari. Elle avait finalement succombé en mai 2002.

« Le décès de Diane Pretty relance le débat sur l’euthanasie » titrait le Quotidien du Médecin le 15 mai 2002.

Et nous apprenions le 22 mai 2002 que la Belgique devenait le deuxième pays à légaliser l’euthanasie, un an après son voisin néerlandais. Le Quotidien du Médecin n’hésitait pas à écrire : « La bataille de Diane Pretty, cette quadragénaire britannique souffrant d’une maladie neuro-dégénérative incurable, aura peut-être influencé le vote des députés belges »

*

Mais revenons à la proposition de loi votée en première lecture France. Celle-ci est loin d’être rassurante, elle souffre de graves ambiguïtés. Le point le plus sensible concerne l’alimentation. L’exposé des motifs affirme en effet que l’alimentation est un traitement. Or le malade peut refuser  » tout traitement «  (article 3) et peut formuler ce refus par des  » directives anticipées «  qui s’appliqueront s’il est dans l’incapacité de s’exprimer. D’ailleurs, les débats ont montré que des parlementaires souhaitaient que des euthanasies, qu’ils ne nomment pas ainsi, puissent avoir lieu sur la base de cette loi. Pierre-Louis Fagniez (UMP) s’est référé aux protocoles d’arrêts simultanés d’hydratation et d’alimentation jugés « efficaces » dans l’État américain de l’Oregon : ils entraînent la mort progressive, sans douleur – affirme-t-on – surtout si on accompagne ce processus d’une sédation. Selon eux, le cas Humbert aurait pu être  » traité « ainsi.

Alimentation et acte médical

L’actualité récente, avec la mort de Terri Schiavo, illustre clairement ce risque : une famille s’est déchirée à propos de la poursuite de l’alimentation artificielle d’une personne incapable de s’exprimer par elle-même, aboutissant dans ce cas à la faire délibérément mourir de faim. Terri Schiavo, Américaine de 41 ans, était plongée, depuis une lésion cérébrale survenue en 1990, dans un état dit « végétatif » ; sa respiration était spontanée et elle ne demandait que des soins ordinaires et d’être alimentée par une sonde indolore qui gagnait son estomac en passant par le nez. À la demande de son mari et tuteur, mais contre l’avis du reste de sa famille, cette sonde a été retirée entraînant sa mort par faim et surtout soif en une dizaine de jours. Elle est morte le 31 mars 2005.

Il faut souligner, sans rien occulter du désarroi de cette famille dans l’épreuve, que le mari qui a réclamé et obtenu l’euthanasie de son épouse après quinze années de coma avait entre temps  » refait sa vie  » avec une autre femme dont il a eu des enfants. Il suffit d’imaginer quel malaise aurait provoqué pour lui le réveil de Terri. Il faut souligner aussi que, contrairement à l’affaire Humbert, les parents de la jeune femme se sont battus pour lui éviter cette fin… L’affaire Schiavo a donc confirmé la réalité de l’euthanasie par arrêt d’alimentation et d’hydratation. Même si elle semble concerner des situations marginales, elle pourrait devenir un moyen particulièrement pernicieux de mettre fin aux jours de personnes vulnérables, notamment celles qui seraient incapables de s’exprimer.

Le drame de Terri Schiavo est survenue pendant qu’avec émotion nous vivions la progression inexorable de la maladie et le décès du Pape Jean Paul II. Nous apprenions que refusant d’être admis en soins intensifs, le pape s’en est tenu aux préceptes éthiques qu’il a enseignés en la matière au cours de son pontificat, comme en mars 2002, quand il avait dénoncé « un acharnement thérapeutique (qui), même avec les meilleures intentions du monde, se révélerait en définitive non seulement inutile, mais non pleinement respectueux du malade en état terminal ».

En même temps, en acceptant d’être nourri par une sonde nasale, il s’était rangé dans la ligne du message qu’il avait adressé, le 20 mars 2004, à des médecins [[Discours du Pape Jean Paul II au Congrès International de la Fédération des médecins catholiques le 20 mars 2004.]]: « L’admission d’eau et de nourriture, même par voie artificielle, avait-il assuré, représente toujours un moyen naturel de conservation de la vie et non un acte médical. Une telle pratique doit donc être considérée (…) comme moralement obligatoire. »

Jean-Paul II avait réaffirmé alors « avec vigueur que la valeur intrinsèque et la dignité personnelle de chaque être humain ne changent pas quelles que soient les circonstances. Un homme, même gravement malade et empêché d’exercer ses fonctions les plus hautes, est et sera toujours un homme et ne deviendra jamais un « végétal » ou un « animal » ».

En janvier, lors d’une de ses dernières interventions publiques, il avait invité les fidèles à « rejeter une certaine mentalité courante qui considère les frères et les sœurs âgés comme quasiment inutiles, lorsqu’ils se retrouvent avec des capacités réduites par les inconvénients de l’âge ou de la maladie. » Dont acte. Il est évident que le sens que l’on donne à la ( sa) vie joue un grand rôle dans les décisions que l’on prend.

Ainsi face à ce climat entretenu par la toute puissance des médias, nous avons le devoir de témoigner et de proclamer la vérité. Devoir d’autant plus impérieux que de nos temps où la guerre est devenue surtout psychologique, les fabulations et les manipulations auxquelles elle se prête sont devenus des armes redoutables dans un combat qui vise à tromper les peuples pour les asservir, puis les faire disparaître. Refuser cette forme de combat serait une véritable désertion .

On brouille volontairement les esprits jusqu’à vouloir leur imposer comme avec l’affaire Vincent Humbert qu’une mère peut tuer son enfant par amour.

Alors que nous vivons dans un pays ou la religion fondatrice, le christianisme dit « il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jean, XV, 13).

L’homme n’est pas maître de la vie et de la mort.

Ainsi le 5 mai 2005 nous apprenions qu’aux Etats Unis, 10 ans après un terrible accident et plusieurs mois dans le coma, gravement blessé dans l’exercice de sa mission, un pompier, Donald Herbert souffrait de lésions cérébrales qui, entre autres, lui avaient fait perdre la vue et la mémoire et le laissaient dans un état semi-végétatif.

Et subitement, sans explications médicales et scientifiques, Donald Herbert est sorti du coma, lucide, demandant des nouvelles de sa femme, de ses enfants et de ses amis.

Le médecin du centre médical catholique où est suivi Donald, déclare : « Sa femme n’a jamais renoncé, même si cela faisait longtemps, même si beaucoup de gens lui disaient qu’il n’y avait pas d’espoir et qu’il ne paraissait pas y avoir d’évolution possible parce que cela faisait déjà trop longtemps« .

On se réjouit de voir que la Vie peut surprendre et recèle encore d’immenses zones d’inconnu qui justifient tout espoir. Mais on ne peut pas s’empêcher de penser avec beaucoup d’amertume, à Terri Schiavo, qui aurait peut-être pu connaître cet heureux retour. Mais son mari a décidé de sa vie autrement. Une neurologue déclare pourtant : « parfois ces choses se produisent, l’état des gens s’améliore et nous ne comprenons pas pourquoi »

Et ce n’est pas la première fois.

« N’ayons pas peur ».

Le mystère de l’homme ne se résume pas à de la science…

Dr Jean Jacques Canet

Article paru dans la Revue Permanences n°420 mai 2005

49, rue des Renaudes 75017 PARIS


Note d’actualité : 2 juin 2007 ;

En Pologne, un cheminot polonais est sorti d’une période de coma de 19 ans.Jan Grzebski avait perdu conscience en 1988. A la suite d’un accident du travail, il avait eu un grave traumatisme cérébral qui lui avait fait perdre progressivement la mobilité ainsi que la parole. et avait sombré dans le coma. « J’ai tout vu, j’ai entendu, les médecins qui me donnaient un mois ou deux à vivre, mais je n’ai pas pu réagir », a-t-il raconté à la télévision.En 2007, il sort du coma et doit juste rester dans un fauteuil roulant durant quelques temps. Il déclare devoir sa survie à sa femme. Un médecin explique : « Pendant 19 ans, Mme Grzebska a fait le travail de toute une équipe d’un service de soins intensifs, changeant son mari de position toutes les heures pour éviter qu’il ait des escarres ».Quand l’amour défie la médecine… Quand la vie se montre plus forte que la science.L’aspect insolite de cette histoire est la redécouverte de son pays natal d’aujourd’hui: en 1988, la Pologne subissait encore le totalitarisme communiste. Il a aussi découvert à son réveil que ses quatre enfants étaient tous mariés et qu’il avait 11 petits enfants.

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